CP à 12 en REP+ : mythes et réalités

lundi 2 octobre 2017
par  Sud éducation 66

Entretien réalisé par Nina Castellarnau

En juin 2017, le ministre de l’Éducation nationale annonce la mise en œuvre dès la rentrée 2017 de la réforme « 100 % de réussite au CP » appelée aussi « CP à 12 » dans les écoles REP +. De grandes inquiétudes sur l’application précipitée de cette réforme ont alors secoué les enseignant·e·s concerné·e·s. Émeline Bévilacqua, professeure en CP dédoublé à l’école Duruy de Perpignan, dresse un premier bilan.

Le CP à 12, comment ça se traduit concrètement dans les écoles ?
Déjà, il faut savoir que le CP à 12 ce n’est pas dans toutes les écoles la même chose. Certains ont vraiment une classe de 12 élèves et sont seuls en responsabilité et d’autres, comme c’est notre cas à Duruy, se retrouvent deux par classe avec deux groupes de 12. Ils sont donc en co-intervention avec une classe de 24. En fait ça dépend du bon vouloir des inspecteurs et surtout de la disponibilité des locaux pour dédoubler de manière effective les CP.

Les effectifs pris en charge en CP sont-ils partout d’un·e enseignant·e pour 12 élèves ?
Pas vraiment. Dans les autres écoles du bassin, on retrouve de deux profs pour 20 à deux profs pour 30, ça fait quand même une différence, surtout si les deux groupes sont dans la même salle. Et puis maintenant que les multi-niveaux sont interdits en REP + en CP, cela peut créer des déséquilibres d’effectifs dans l’école. Jusqu’à présent, nous pouvions équilibrer les CP/CE1 tant en ce qui concerne les effectifs que l’hétérogénéité des niveaux, maintenant nous ne disposons plus de ce levier d’action ! Et puis l’année prochaine la mesure de 12 élèves par classe devrait être étendue aux CP en REP et aux CE1 en REP + ; on se demande déjà si ça ne va pas poser problème pour les effectifs et les locaux...

Comment vous êtes-vous préparé·e·s à cette rentrée ?
Déjà, je voudrais souligner que nous avons appris le 30 juin que nous devrions dédoubler les CP, ce qui nous a laissé très peu de temps pour nous organiser avec les collègues tant pour la répartition des classes et la formation des binômes que pour l’organisation des locaux. On a donc dû se voir à plusieurs reprises pendant les vacances avec mon binôme pour préparer les cours et concevoir l’agencement de la salle. Pour l’instant on expérimente…

Justement, comment ça se passe en classe ?
Eh bien, on prend la classe entière et puis souvent l’une de nous deux mène le cours et l’autre la seconde, et ce de manière alternée. Sinon, on pratique également des dispositifs variés de types îlots, groupes de besoins, ateliers. Parfois on sépare les groupes dans deux salles : la salle de cours et la salle d’arts plastiques. Pour les élèves, c’est quand même plus confortable d’avoir deux adultes qui s’occupent d’eux en classe et pour les enseignants on améliore la partie gestion de classe et individualisation. Et puis ça permet de croiser les pratiques avec son binôme, et ça c’est toujours intéressant.

Vous devez vous réunir souvent pour travailler ensemble…
C’est le principal problème. Ce nouveau dispositif demande beaucoup de temps de préparation et de concertation à deux. Et ce temps, nous le prenons sur notre temps libre la plupart du temps. Il semblerait admis que nous prenions ce temps de travail sur les 18 demi-journées de formation rémunérée en REP +, mais c’est compliqué car nous avons déjà des projets de secteur que nous voulons porter lors de ces journées de formation. Pourquoi ne pas le soustraire des APC ?
Le résultat, c’est que cela nous demande beaucoup d’investissement personnel en espérant que les mêmes binômes qui fonctionnent seront reconduits les années suivantes pour ne pas perdre le bénéfice de tout ce qui aura été fait. Et puis presque tout est à inventer, on bricole car on n’est pas outillé·e·s pour faire cours en co-intervention.

Vous avez reçu récemment une formation, non ?
Il était prévu une semaine de formation, nous avons eu un jour et nous devrions en avoir un second au cours de l’année scolaire. Cette formation n’est destinée qu’aux titulaires : les remplaçants ou compléments de service qui interviennent sur un CP à 12 n’ont donc pas droit à cette formation, ce qui est totalement injustifié. La formation devait porter sur les CP dédoublés mais il n’y a pas eu d’apport intéressant sur la co-intervention. On nous a plutôt parlé de lecture, de méthodes à bannir, de bémols à notre liberté pédagogique… Nous avons vraiment déploré que la formation ne corresponde pas à nos besoins. Et puis cette formation ne pouvait pas être un temps d’échange avec son binôme car nous sommes parties en formation deux jours différents. Nous n’avons d’ailleurs pas été remplacées, il y avait donc une enseignante pour 24 élèves. On nous a d’ailleurs dit que les CP à 12 ne seraient pas prioritaires pour les remplacements ; ce ne sera donc déjà pas CP à 12 tous les jours !

Dans ta classe, ton binôme est à ¾ temps, trois enseignantes, les élèves s’y retrouvent ?
Ce n’est pas évident pour eux et de manière générale les parents peuvent aussi être un peu perdus face à l’application de cette réforme. Ce qui est compliqué c’est que de fait ce n’est plus au titulaire de gérer le lien et la continuité avec son remplaçant mais à celui qui reste à temps complet et ça, ça rajoute encore une charge de travail supplémentaire. Sans compter qu’on peut imaginer des binômes ou trinômes qui pour des raisons personnelles rencontreraient des difficultés de communication ou d’entente sur le plan pédagogique… d’où l’intérêt de conserver les équipes qui marchent.

Le bilan de ces premières semaines est donc plutôt en demi-teinte...
Oui, car c’est un dispositif qui pourrait être intéressant s’il était possible de fonctionner avec sa liberté pédagogique et d’organisation. Nous manquons de temps compris dans notre horaire de travail pour nous concerter et surtout nous ne sommes pas préparé·e·s et formé·e·s ; nous devons bricoler au quotidien, c’est dommage.