Saluons l’artiste (rapport Thélot)
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1. S’il est quelque part un cirque en manque d’illusionniste, sans attendre, il doit embaucher Thélot. D’évidence le bonhomme est taillé pour l’emploi. Au fond de son chapeau, il peut jeter pêle-mêle les propositions du MEDEF et de ses officines avec celles de la Commission Européenne. Et, miracle de la magie, il les transforme en l’expression spontanée et condensée des milliers de discussions du « Grand Débat sur l’Ecole ».
Quel talent, ce Thélot ! Depuis des années le patronat, ses porte-voix des médias et la crème des grandes institutions internationales s’échinaient à nous expliquer que le temps du grand chambardement scolaire était venu. Et voilà Thélot et sa bande, véritables phénomènes de foire, qui, en un tournemain, font la démonstration que tous, parents, lycéens, personnels de l’éducation, ne souhaitaient rien d’autre que de se reconnaître dans le projet d’Ecole néolibérale du MEDEF et de ses complices.
2.1 On ne peut nier la cohérence idéologique du rapport Thélot. Les propositions qu’il énonce répondent à une logique déjà connue : celle qui sous tend l’ensemble des projets d’Ecole néolibérale. Toute la démonstration repose sur un postulat : l’Ecole doit changer afin d’être capable d’anticiper « les évolutions économiques prévisibles » [Th. p 20]. Nous sommes engagés dans une guerre économique pour laquelle il s’agit de mobiliser toutes les ressources (humaines) au service de la compétitivité : « les performances économiques futures de la Nation dépendront de la richesse du capital humain » [Th. p 23]. Pour ainsi entrer dans « l’économie de la connaissance la plus compétitive » [Th. p 22], (l’objectif même de la Conférence Européenne de Lisbonne de 2000), il convient de mettre en place « des voies de formation adaptées au monde du travail » [Th. p 23]. Ici, Thélot ne fait que reprendre à son compte ce que le MEDEF affirmait déjà lors de son congrès de janvier 2002 : il faut réformer l’Ecole car « la compétition internationale nécessite une adaptation constante des qualifications et des compétences des salariés ». De même, l’OCDE, dans son rapport de 2002, pouvait écrire que la « mission économique » de l’Ecole « consiste à valoriser le capital humain » (on retrouve mot pour mot les mêmes concepts) et à dispenser « les compétences spécifiquement requises pour trouver un emploi ».
2.2 Fort de ces principes, Thélot peut s’attaquer à la fois aux diplômes et aux contenus des enseignements. Le rapport ne s `embarrasse guère de précautions pour stigmatiser cette « culture française (qui) valorise à l’excès le diplôme » car « est-il toujours juste que les diplômes aient d’aussi grandes compétences ? » [Th. p 44]. Super argument pour introduire le concept central : celui de compétence : « une classe d’âge (doit) maîtriser l es compétences (notamment comportementales) à une vie personnelle et à une intégration sociale réussies » [Th. p 24]. On sait l’importance donnée à cette notion par la doctrine néolibérale en matière d’éducation. Il y a belle lurette que la compétence, cette « combinaison de connaissances, savoir-faire, expérience et comportements s’exerçant dans un contexte précis » [cf Alain Dumont, directeur - à l’époque - de l’Education et de la formation du MEDEF, aux journées de la performance 2000] remplace l’archaïque notion de savoirs et que c’est à l’Ecole de transmettre « les nouvelles compétences de base » [Rapport de la Commission Européenne sur les Objectifs concrets futurs des systèmes de formation -31/01/2001-]. A quelques détails près, c’est la même idée que développe Thélot, l’Ecole propose un enseignement minimum « qui se décline en termes de connaissances, de compétences et de règles de comportement » [Th. p 38] sous forme d’un « socle commun » fait d’un « ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir être » [Th. p 38] qu’on ne saurait confondre avec les « programmes tels qu’ils sont actuellement en vigueur à l’école et au collège » [Th. p 38]. On sait quelle signification donner à cette substitution de la compétence au diplôme. Le diplôme est un acquis, il certifie une qualification qui peut être reconnue dans un contrat de travail ou, mieux, dans une convention collective. C’est pourquoi le patronat ne prise guère les diplômes qui donnent une garantie aux salariés pour appuyer leurs revendications d’un statut. La compétence, au contraire, est fragile. Elle évolue dans le temps et correspond davantage au modèle de flexibilité que veulent imposer les entreprises en matière d’emploi. Les salariés ne peuvent plus invoquer collectivement une amélioration de leur condition ou encore résister à une remise en cause de leurs acquis. En effet, il n’est qu’un seul arbitre en matière de validation des compétences (c’est à dire « d’employabilité »du travailleur : le patron lui-même.
2. 3 Le contenu des enseignements n’est pas épargné non plus. Le rapport Thélot définit un socle commun « bien adapté à notre temps », « réaliste et opératoire » [Th. p 39], réduit aux quelques « fonctions primordiales suivantes = lire, écrire, compter, s’exprimer (y compris en anglais de communication internationale), se servir d’un ordinateur et vivre en société » [Th. p 49]. Tels sont les « acquis indispensables » [Th. p 49] que les élèves devront maîtriser à leur sortie du système scolaire, des acquis qui n’intègrent pas la « culture générale » puisque, à côté de « l’apprentissage du socle commun », on trouve « d’autres disciplines, dont la culture générale ». En clair, cela signifie que, si l’anglais de communication internationale et le maniement de la souris sont des acquis indispensables, tel n’est pas le cas de la « culture générale ». Une conception aussi restrictive de l’enseignement ne pourra étonner que ceux qui ont refusé de prendre au sérieux les propos plusieurs fois réitérés du MEDEF. Par exemple, dans la revue Administration et Education (n° 4 de 2002), il suggère, lui aussi, un « socle de base » fournissant « les bases scientifiques, techniques, juridiques ou économiques préparant le jeune à la famille de métiers vers laquelle il a décidé de s’orienter » réduites en gros à la maîtrise de la lecture, de l’écriture, du calcul…
Un inventaire qui ressemble étrangement à celui établi par l’Institut Montaigne, un lobby patronal qui, quelques mois avant le « grand débat sur l’école », proposait lui aussi dans un rapport intitulé « De la formation tout au long de la vie à l’employabilité » (sept 2003) un socle de base « maîtrise de l’écriture, du calcul, d’une langue étrangère et de l’informatique, acquisition de l’esprit d’équipe ». Bizarre !
2.4 Bien entendu ce contenu appauvri et instrumentalisé ne saurait être le lot de tous. Car, même s’il se réclame de la défense de l’intérêt des élèves, Thélot affirme néanmoins qu’ « une certaine forme de diversification du collège est non seulement possible mais légitime » [Th. p 40]. Elle signifie la fin du collège unique et la mise en place d’une sélection précoce : « le collège peut proposer, dans le cadre de projets individuels, des parcours fondés sur diverses formes d’alternance, en entreprise, dans un établissement de formation professionnelle ou des structures adaptées (dispositif-relais) » [Th . p 40]. Une sélection assumée sans sourciller qui met à l’écart « les élèves qui n’ont validé le socle (et) qui n’ont pas vocation (!) à poursuivre leur formation initiale » [Th. p 44 -version initiale]. Elle se poursuivra d’ailleurs au lycée qui « offre, dés la première année, des voies aux finalités différentes » [Th. p 63], les lycéens des L.P étant, eux, mis à la disposition des entreprises grâce à la création d’un statut spécifique pour « les lycéens professionnels qui consacrent une partie de leur temps scolaire au travail en entreprise » [Th. p 63]. Les voilà d’ailleurs prévenus : ils ne seront plus des lycéens comme les autres puisque le bac pro devenant un « diplôme conduisant les élèves à l’insertion dans la vie professionnelle » [Th. p 64], on peut imaginer qu’ils ne seront pas appelés à poursuivre leurs études, les universités étant, de toute façon, invitées à confirmer la sélection en affichant « publiquement des pré-requis » [Th . p 66]. Pour justifier cette régression Thélot n’est pas avare d’arguments. Ne s’agit-il pas de promouvoir « l’éducation au choix », de s’attaquer aux inégalités ou, plus exactement, de lever les obstacles qui interdisent « l’égalité des chances » (citée à plusieurs reprises).
Chacun sait la fortune connue par ce concept dans une doctrine néolibérale pour qui la société, le monde, l’univers même sont conçus comme une vaste compétition. Dans ce cadre, « l’égalité des chances » prétend compenser les inégalités de situations présentées comme des sortes de faits de nature quasi inévitables. On arrive ainsi :
à légitimer ces inégalités dont on ignore la dimension socio-économique ;
à substituer la notion d `équité à celle d’égalité et à affirmer que la lutte contre les inégalités est une vieillerie à renvoyer dans les poubelles de l’histoire. Un thème qui est cher aux idéologues de la « modernité » capitaliste (l’ineffable Alain Minc, par exemple).
Dans le rapport Thélot, combattre les inégalités revient à faire en sorte que « les élèves entrent dans une compétition équitable » [Th. p 41] puisque « l’Ecole démocratique est une compétition » (sic) [Th. p 43] qui vise à « promouvoir une élite scolaire » [Th. p 33]. Tout est dit. Equité, compétition, égalité des chances qui traduisent toute une inspiration idéologique.
Bien entendu, Thélot ne fait nul mystère du contenu économique du projet. « La part des emplois peu qualifiés ou requérant une qualification d’ordre « comportemental » ou « relationnel » demeurera considérable dans l’avenir » [Th. p 23]. Pourquoi encombrer les jeunes cervelles d’une culture générale qui n’a aucun rendement économique immédiat ? Il s’agira seulement de former à moindre coût la main d’oeuvre flexible et bon marché dont le système a besoin. Si l’on se souvient que les deux tiers des emplois nouveaux sont peu ou pas qualifiés, on comprend la nature de l’enjeu : la sélection scolaire précoce doit permettre d’assurer un tri social. Dans une organisation scolaire en trois cycles, le premier servira à conduire les élèves « directement à une insertion dans la vie professionnelle » [Th. p 64]. Comme le dit élégamment le rapport « Regards sur l’éducation » de l’OCDE, publié en 2003 : « L’enseignement primaire et secondaire jette les bases d’un ensemble de savoir-faire essentiels préparant les jeunes à devenir des membres productifs de la société ».
Notons toutefois que les plus réactionnaires parmi les nostalgiques d’une Ecole caporalisée n’auront pas trop à s’inquiéter de ce déferlement de « modernité ». Car, s’il y a « effritement des instances traditionnelles d’éducation » (sous-entendu, probablement le modèle de la famille bourgeoise), « il faut donc privilégier l’éducation à vivre ensemble » [Th. p 56], ce qui se traduit plus brutalement par « restaurer l’ordre »
3. La mise en place de cette réorganisation du système éducatif doit s’accompagner d’une transformation profonde de son mode de fonctionnement. C’est tout un programme qui est proposé « accroître la responsabilité des établissements scolaires, renouveler le métier d’enseignant, construire une éducation concertée avec les parents, enfin favoriser les partenariats, le système éducatif ne pouvant plus réussir seul » [Th. p 48].
3.1 « Accroître la responsabilité des établissements ».
Il faut tout d’abord renforcer « l’autorité et la responsabilité de l’équipe de direction » [Th. p 99] Pour cela, on la dote d’une « plus grande capacité », le chef d’établissement devient « responsable de la politique conduite dans son établissement » [Th. p 101]. De même « on lui donne le pouvoir de contribuer à constituer son équipe de direction en précisant les profils souhaitables et en donnant un avis sur les personnes lorsque des postes sont à pourvoir. Cela suppose aussi que l’équipe de direction soit responsable du recrutement de certains personnels à l’instar des assistants d’éducation : vacataires et contractuels, enseignants et non enseignants » [Th. p 101].Il s’agit très précisément de « l’élargissement de (son) autonomie financière et pédagogique » [Th. p 101]. Voici le chef d’établissement ainsi reconverti en une sorte de petit patron dont les compétences s’étendront désormais au domaine de la pédagogie. Bien entendu une telle réforme n’est pas réservée au seul second degré.
Dans le primaire il faut aussi « transformer… les écoles et les réseaux d’écoles en établissements disposant d’un statut propre...dirigés par un chef d’établissement responsable » qui « assure la direction pédagogique de l’école, en particulier la répartition des ressources humaines (sic) et matérielles décidée par (le) Conseil d’administration dans le cadre d’un contrat pluri-annuel » [Th. p 102]. Voilà des directeurs d’école qui, tout comme les proviseurs ou les principaux, pourront, à l’instar de ce qui se passe dans les pays les plus engagés dans la construction de l’Ecole néolibérale, devenir des petits patrons. Ils pourront appliquer les recettes déjà éprouvées dans l’industrie et le commerce puisque l’on devra « élargir les bases de recrutement par concours à des cadres issus d’autres sphères que l’enseignement ou l’éducation » [Th. p 103].
Seuls des esprits pervers pourront se hasarder à souligner l’étrange similitude entre cette conception managériale de l’Ecole et les conclusions d’un rapport resté fameux, du Conseil d’Etat (mars 2003). On y propose que la « gestion des emplois » comme « la responsabilité de l’exécution des programmes » doivent être confiées aux chefs d’établissement dans le cadre de la « décentralisation la plus complète possible des actes de gestion ». Ce que Thélot désigne par cette formule élégante, qui est en même temps un aveu idéologique : il faut réformer « les modes de management » [Th. P 138]. Voilà qui explique l’empressement montré par Thélot à se conformer aux nouvelles dispositions de la loi du 1° août 2001 (la LOLF) qui substitue à la logique de moyens une logique (de type financier) de résultats fondée sur la course à la performance. Ce que d’ailleurs recommande le rapport du Conseil d’Etat qui invite les gestionnaires à faire le choix « de la meilleure combinaison des moyens dans le cadre des enveloppes fixées ». Thélot le traduit par la nécessité de « structurer le budget de l’éducation en programmes » [Th. P 25], la LOLF fournissant ainsi le socle juridique qui justifie le recours à une gestion manageriale de l’Ecole.
On aura compris que tout cela s’inscrit dans un cadre déjà préparé de longue date : celui de la décentralisation. « La capacité d’action des établissements (leur marge de manoeuvre financière et pédagogique) doit être accrue » [Th. p 92]. Encore faut-il que l’Ecole satisfasse aux besoins économiques locaux. Thélot le rappelle explicitement à propos des lycées : « les conseils régionaux...devront définir (l’) offre en tenant le plus grand compte des grandes tendances du marché du travail » [Th. p 78]. Ils devront « décider de la forme de ces structures, laquelle différera d’une région à l’autre » [Th. p 64]. N’était-ce pas déjà la demande du lobby patronal (l’Institut Montaigne) qui, en 2003, réclamait que l’on rendre « aux partenaires sociaux la maîtrise des politiques de formation et, plus généralement, du développement des compétences dans un environnement général plus réceptif ». Certes, on ne pourra plus alors assurer l’égalité entre les établissements, sachant qu’une « part variable des moyens alloués devrait être définie en fonction des caractéristiques des élèves qu’ils accueillent » [Th. p 88].
Pourraient se multiplier les procédures dérogatoires : « nominations de chefs d’établissement, d’enseignants, de personnel ATOSS...concentration sur quelques points du programme, individualisation...partenariats renforcés » [Th. p 76]. On voit se dessiner en filigrane un système où cette allocation différenciée des moyens ne permettrait pas d’assurer la totalité des enseignements partout, quitte à le justifier au nom de l’intérêt particulier porté aux enfants défavorisés pour lesquels on doit se concentrer sur le socle commun. Rapidement on risque d’aboutir à une Ecole duale qui, bien sûr, ne ferait que refléter les grandes divisions de classes de la société.
3. 2 « Renouveler le métier d’enseignant ».
Pour Thélot et son équipe, il faut dépoussiérer les métiers de l’enseignement. On sait ce que recouvre en général ce type de proposition. Elle vise d’abord à « redéfinir le travail de l’enseignant autour d’activités plus diverses… et d’ouvrir le dossier du temps de présence hebdomadaire dans l’établissement » [Th. p 93]. On imagine aisément dans quelle direction ira cette redéfinition : « une organisation du travail des enseignants prenant en compte les autres missions que celle de l’enseignement » passant par « un allongement du temps de présence dans l’établissement scolaire, proposé aux enseignants qui le choisirait ou non, à leur gré, mais s’appliquant en revanche à tous les jeunes recrutés » [Th. p 107]. Thélot a d’ailleurs l’obligeance de quantifier cette augmentation de la durée du travail. Il estime nécessaire un allongement du temps de présence des enseignants du second degré dans les établissements de 4 à 8 heures. Ce « travail complémentaire s’inscrirait dans le contexte du contrat d’établissement » [Th. p 110]. Mais ce n’est pas tout, l’une des grandes nouveautés consiste à introduire la flexibilité dans l’organisation du travail enseignant : « une conception moins rigide de l’emploi du temps permettrait qu’un professeur absent puisse être remplacé par un collègue exerçant ou n’exerçant pas dans la même discipline » [Th. p 101].
Bien entendu, la formation continue (« obligation professionnelle ») doit se dérouler « hors du temps consacré à l’enseignement » L’enseignant doit assurer non seulement « le remplacement des professeurs indisponibles » [Th. p 97] mais aussi la formation des « assistants d’éducation ». On imagine aisément les conséquences de cette nouvelle « polyvalence », en particulier l’allègement du temps de travail provoqué par ces « nouvelles facettes du métier » qui devraient être la norme assez rapidement pour les « professeurs de collège » !
Prolongement logique de ces réformes, sera introduit un nouveau mode d’évaluation des agents de l’Education Nationale. Tous les personnels se verront attribuer une note à l’issue d’un « entretien interne annuel mené par le chef d’établissement ou son adjoint » [Th. p 117]. Mais, innovation de taille, celle-ci ne portera plus seulement sur les aspects administratifs de la fonction puisque le chef d’établissement disposera de compétences pédagogiques. Cela permettra une individualisation des rémunérations sanctionnée par la multiplication de « primes spécifiques élevées et d’avantages substantiels de carrière » [Th. p 117]. Gloire aux fayots et aux lêche-culs. Avis à tous les déviants qui seraient tentés de mettre en cause les règles de fonctionnement du système, Thélot les invite explicitement à ne pas s’écarter « du devoir de réserve vis-à-vis des institutions » [Th. p 93].
Enfin, si par hasard, il se trouvait certains pour prétendre se prévaloir de leur âge pour vivre en sybarite, Thélot se charge de les ramener à de plus justes sentiments. « Les professeurs à la retraite » pourront être employés à des « fonctions d’accompagnement » [Th. p 96].
On n’oubliera pas que ce fatras de mesures toutes plus réactionnaires les unes que les autres s’inscrit dans une logique « manageriale » de la gestion des services publics. Là aussi, on retrouve l’esprit du rapport (déjà cité) de 2003 du Conseil d’Etat. Tout y est : il faut que la fonction publique « prenne sa part des efforts d’adaptation et de performances demandés au reste du pays » car « les fonctionnaires sont encore loin des contraintes de réactivité qui pèsent sur les entreprises privées ». On doit donc « mieux adapter les activités des agents aux objectifs qu’il y a lieu d’atteindre » et instituer un « statut mieux adapté aux exigences de la gestion des ressources humaines ». Le service public devient une « entreprise de personnel » (sic) où l’on mettra « l’accent sur une pratique plus exigeante consistant à redonner toute sa place au mérite » car le « temps est venu pour les pouvoirs publics de réaffirmer la primauté de la reconnaissance au mérite ». Seuls des esprits soupçonneux pourraient accuser Thélot d’être allé puiser son imagination dans les recommandations des clairvoyants conseillers d’Etat. Ce sont non seulement les fonctions mais aussi le statut des personnels qui doivent changer. En proposant de donner une « place importante aux professeurs associés ou recrutés par validation de l’expérience professionnelle » [Th. p 111] et de « faciliter l’accueil de professeurs salariés ou non ayant une expérience dans les entreprises et les services publics » [Th. p 111], mais il prépare aussi la précarisation générale des personnels de l’Education Nationale.
3.3 « Favoriser les partenariats ».
De ces partenariats hautement revendiqués, l’un d’entre eux est cité de manière récurrente. Celui que l’Ecole doit passe avec les entreprises : « la Commission estime nécessaire le développement d’un partenariat entre Ecole et entreprise » [Th. p 133]. Il faut, pour cela, une « implication accrue des entreprises » [Th. p 72] et, en particulier, reconnaître « l’apport pédagogique de l’entreprise au sein de la formation globale » [Th. p 72].
Pour Thélot, les justifications ne manquent pas. Il s’agit d’abord de distiller dans l’Ecole cet « esprit d’entreprise », concept cher à la Commission Européenne qui en promeut l’enseignement dans les établissements scolaires : les entreprises doivent donner « une description objective du fonctionnement de l’entreprise sans a priori idéologique » [Th. p 133]. Il faut ensuite « rapprocher l’élève de l’emploi » par « l’organisation de périodes de formation en entreprise » [Th. p133] qui « satisfassent à la fois la qualité de la formation exigée par l’Ecole et les contraintes d’efficacité de l’entreprise » [Th. p 133] (on se souvient que, dans la pensée néolibérale, « contrainte d’efficacité » se traduit par retour sur investissement ou, plus vulgairement, par profit). Cette alliance d’intérêts implique « un partenariat local entre l’établissement et l’entreprise », des contacts directs avec « les chefs d’entreprise ou directeurs d’usine de l’environnement immédiat » dans le cadre d’un « partenariat local fondé sur des relations personnalisées » [Th. p 134]. Cela ne devrait pas déplaire à la Commission Européenne qui, dans son rapport du 31 janvier 2001, réclamait des écoles qu’elles exploitent « les contacts qu’elles entretiennent avec les entreprises de leur environnement direct ». De la même façon, il conviendrait que les entreprises jouent un rôle accru dans l’orientation des élèves en confiant à des « praticiens d’entreprises » la « connaissance du monde du travail » [Th p 78]. On ne saurait trop se méfier des velléités critiques de certains professeurs. De même la formation des enseignants doit être contrôlée par les entreprises, à l’occasion de stages accomplis « au cours des deux premières années de formation en entreprise « [Th. p 115].
Cette insistance n’est pas étonnante. Avec le rapport Thélot on trouve une réponse empressée aux demandes maintes fois réitérées par le MEDEF. Au cours de son congrès de janvier 2002, il exige de « tout mettre en œuvre pour rapprocher l’école, l’université et l’entreprise ». Ne s’agit-il pas de « tisser des relations plus étroites entre l’Ecole et l’entreprise pour pouvoir partager une vision commune du monde du travail » (Les cahiers du MEDEF : la compétence professionnelle, enjeu stratégique ?. On ne saurait être plus clair !
Le rapport Thélot n’est que le dernier avatar du projet d’Ecole néolibérale que l’on a vu mettre en place dans quelques pays. On y retrouve tous les éléments qui constituent le socle de la conception néolibérale du monde :
le démantèlement du service public avec notamment le désengagement financier de l’Etat ;
une instrumentalisation de l’Ecole qui, au nom de la compétitivité, se donne pour mission la fourniture de la main d’oeuvre flexible et polyvalente nécessaire à l’économie capitaliste mondialisée ;
le remplacement des savoirs par des compétences ;
l’introduction des normes manageriales en usage dans les entreprises néolibérales, grâce, en particulier, à l’introduction de l’individualisation des rapports de travail chez les personnels de l’Education Nationale ;
l’entrée du patronat dans les écoles par le biais d’une institutionnalisation des partenariats entre l’Ecole et les entreprises ;
la généralisation de la concurrence entre les établissements grâce à la déréglementation et aux formes d’autonomie octroyées aux établissements.
Ce projet n’est pas le nôtre. Plus que jamais s’impose l’urgence : d’une autre Ecole, d’une autre société !
Fédération SUD Education
Commission « École et mondialisation capitaliste »