UN RAPPORT SUR LES INÉGALITÉS

mardi 11 septembre 2007
par  Sud éducation 66

La presse s’est empressée à la rentrée de donner le maximum de couverture médiatique au rapport 2007 du Haut Conseil de l’Éducation. Ce rapport dénonçait les graves déficiences de l’école primaire. On retenait assez vite la première phrase de l’introduction, à savoir que 40% des élèves sortent de l’école primaire avec des lacunes. On entendait ou lisait ici ou là que les inégalités sociales n’étaient pas corrigées par l’école primaire.

Que l’institution soit en cause allait de soi ! Mais comment ? On pouvait lire dans le Figaro (« École primaire : “insuffisant” pour 40% des élèves à la sortie » par Marie-Estelle Pech, article publié le 25 août 2007) qui répétait le rapport que les comparaisons internationales n’étaient pas favorables à la France. Il y aurait beaucoup à dire sur ses fameuses comparaisons internationales toujours défavorables. À entendre certains journalistes, on pouvait même se demander comment il était possible que dans le même temps le gouvernement recrute encore des professeurs des écoles dont l’incompétence était avérée.

Pour qui se demandait ce qu’est le Haut Conseil de l’Éducation, il n’y avait guère de réponse. Or, comme le rapport le précise lui-même, il émane de la loi du 23 avril 2005, autrement nommée loi Fillon. Il est bien sûr un organisme indépendant. Qui sont ses membres ? Qui les nomme ? La loi précise qu’il y a « trois personnalités désignées par le Président de la République, deux personnalités désignées par le président de l’Assemblée nationale, deux personnalités désignées par le président du Sénat, deux personnalités désignées par le président du Conseil économique et social. Ces personnalités sont désignées en dehors des membres de ces assemblées. Le président du Haut Conseil est désigné par le Président de la République parmi ses membres. » Le Journal officiel du 15 décembre 2005 précise les modalités de rémunération des membres de ce conseil qui œuvre de façon si dévouée. Quoi qu’il en soit, ce conseil dépend de la majorité politique.

Sa composition actuelle laisse R êveur. On ne doute pas que ses membres ont fait de brillantes études (ENS, ENA, Polytechnique, etc.). Qu’un écrivain comme Denis Tillinac, membre de l’éminente école de Brive, connu pour être l’écrivain corrézien le plus admirateur de Jacques Chirac, soit une personne tout à fait indiquée pour porter un jugement impartial, ne fait aucun doute. Quant à Michel Pébereau, président du conseil d’administration de BNP-Paribas et du comité sur l’école du MEDEF comme l’indique sa biographie rédigée pour et par le ministère de l’éducation nationale, seuls de mauvaises langues pourrait douter de son indépendance par rapport au pouvoir économique et au patronat.

Plus intéressant est que ce Haut Conseil de l’Éducation enfonce des portes ouvertes. Le sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002), dans deux ouvrages, l’un en collaboration avec Jean-Claude Passeron, Les Héritiers paru en 1964 et l’autre, La Reproduction en 1970, avait montré que l’école a pour fonctions d’empêcher les enfants des classes sociales dominées à s’éduquer et à reproduire les inégalités.

Et voilà que les “héritiers” ont découvert que cette critique qu’ils écartaient jusque là d’un revers de main pouvait avoir un intérêt. Parce qu’elle venait d’un auteur de la pensée 68, selon le titre slogan d’un triste ouvrage signé des philosophes Luc Ferry et Alain Renault, cette critique passait pour typique de l’impossibilité pour la gauche de penser l’essentielle liberté humaine. Si certains enfants avaient du mal à l’école, s’ils apparaissaient totalement “inadaptés”, ce n’était pas parce que celle-ci leur parlait un langage qu’ils ne pouvaient comprendre, mais parce qu’ils faisaient un mauvais usage de leur liberté.

Cet argumentaire de l’humanisme bêlant a toujours cours pour la délinquance. Il se trouve parfois concurrencé par un tout autre discours, celui de la culture – on ne dit plus race ! – des délinquants qui ne leur permet pas de comprendre que voler ou brûler une voiture ne se fait pas alors que l’abus de biens sociaux, lui, mérite – et c’est urgent – d’être dépénalisé.

Pour l’école, fini l’appel à la liberté et à la responsabilité des familles ! Les néolibéraux ont découvert l’existence des classes – alors que leurs intellectuels comme Guizot (1787-1874) avaient inventée la lutte des classes au XIXème siècle. Et le professeur des écoles ou l’instituteur nécessairement méritant, va devoir changer ses méthodes qui échouent à faire reculer les inégalités scolaires.

La tartufferie de ce rapport se manifeste amplement dans ce qui devrait en être la base. Si les enfants de milieux sociaux défavorisés ont des difficultés dues à leur milieu, alors il s’agirait aussi d’agir sur lui. Ainsi le rapport note que le taux de redoublement au primaire est de 41% pour les enfants d’inactifs, de 25% pour les enfants d’ouvriers alors qu’il n’est que de 3% pour les enfants d’enseignants et de 7% pour les enfants de cadres. On peut s’étonner d’ailleurs de la distinction entre enseignants, terme qui désigne un métier et cadre, terme qui désigne un grand nombre de métiers. On n’y verra surtout pas un moyen pour dénoncer des enseignants qui construisent une école pour leurs enfants au détriment des enfants des autres. Toujours est-il qu’il serait assez étonnant que les enfants de rmistes aient plus de facilité à goûter aux joies des fables de La Fontaine que les enfants des membres du Haut Conseil de l’Éducation qui ont fait l’École normale supérieure. Ce qui par contre est assez sûr – et justement c’est la seule chose que prouve ce rapport – c’est que l’économie de marché, la concurrence généralisée, la médiocrité culturelle offerte aux masses pour les divertir et disposer leur esprit à la publicité, ne sont certainement pas les conditions sociales de l’égalité.

Le rapport, plutôt que de prôner une rupture sociale, préfère dénoncer l’école primaire. Il note même malicieusement que le collège passait jusque là pour le « maillon faible » (expression mise entre guillemets dans le rapport qui montre que ses auteurs ont une forte culture télévisuelle). En ajoutant l’école primaire, on voit bien que le but des auteurs du rapport est d’attaquer une institution qu’il s’agira bien sûr de “réformer”.

Bien sûr, que l’actuel gouvernement ait supprimé des postes n’est pour rien dans ces mauvaises performances. Deux pays sont cités par le rapport pour leur performance : la Suède et les Pays-Bas. Or, une comparaison du nombre d’élèves par maître entre ses deux pays et la France est intéressante. Il y a 12,3 élèves par maître en Suède et 16 par maître contre 19,4 pour la France qui est un des plus mauvais élèves des pays développés (Le Monde du 28 septembre 2007). Et encore, il faudrait aussi s’interroger sur tous les aspects de la politique sociale dans les pays qui servent d’éléments de comparaison. Mais on ne trouvera rien de tel dans ce rapport prétendument impartial.

En insistant sur cette question des moyens, je ne veux nullement dire qu’il n’y a pas à se poser de tout autres questions concernant la scolarité dans le primaire comme dans le secondaire. Je voudrais seulement montrer la mauvaise foi d’un rapport qui n’a pour but que le dénigrement.

Curieusement, cette insistance sur les classes sociales lorsqu’il s’agit d’école, disparaît lorsqu’il s’agit de délinquance. On attend un rapport dénonçant la police et la gendarmerie qui arrêtent plus de brûleurs de voitures chez les enfants des inactifs que chez les enfants d’enseignants. Et pourquoi pas un rapport sur la justice qui condamne plus durement les voleurs de portables que les délinquants en col blanc.

En un mot, il serait vain de vouloir critiquer sur le fond ce prétendu rapport. Comme la loi Fillon dont il est une émanation, il ne vise qu’à introduire dans l’école les conditions qui la rendent inégalitaires, à savoir la concurrence et la privatisation.

Patrice Bégnana