LE SECRET POUR RÉSISTER AU MANAGEMENT NÉOLIBERAL QUI ENVAHIT L’ÉCOLE

dimanche 18 mars 2012
par  Sud éducation 66

Par Sud éducation Bourgogne

En exclusivité, SUD Education vous donne les secrets qui vont permettre de gagner la lutte contre le néo-libéralisme qui envahit le système éducatif. Il nous a suffi pour cela à SUD éducation de commander un rapport à des experts indépendants qui, moyennant une dizaine de centimes d’euros, ont fait une méta-étude de comparaison de toutes les luttes menées dans le monde qui se sont conclues par une victoire des travailleurs-ses : ici pour plus de justice sociale, là pour obtenir un salaire décent, ou là encore pour mettre à bas un système de pouvoir autoritaire. Qu’ont constaté alors les brillants analystes que nous avons mandatés ? Une chose toute simple. Partout dans le monde, petites ou grandes, ces luttes victorieuses ont un point commun. Elles ont commencé par le même processus :

« Se redonner des mots, du temps, et de l’espace. »

Appliquons donc cette recette secrète au système d’éducation gangrené par le management néolibéral.

Se redonner des mots

Les néolibéraux nous volent nos mots : en détournant le sens émancipateur initial de nos mots, vers un sens réactionnaire, autoritaire, et marchand. C’est ainsi que l’égalité est devenue l’égalité des chances (soit le droit accordé à la tortue d’être sur la même ligne de départ que le lièvre). C’est ainsi également que les compétences qui étaient utilisées jusqu’à maintenant librement par certains collègues dans leur pédagogie pour baliser la progression des élèves sont devenues un élément de fichage généralisé en direction des entreprises : le livret personnel de compétences. C’est ainsi encore que le projet pédagogique est devenu le projet d’établissement : un cahier des charges à respecter pour (espérer) obtenir un budget de fonctionnement décent. Les exemples de mots ainsi volés sont encore nombreux.

Alors à notre tour détournons leur novlangue et soyons inventifs dans notre prose collective et syndicale. Re-poétisons nos luttes. Déployons le conflit linguistique. Réinventons les formes et les contenus de nos journaux collectifs, nos tracts, nos affiches. Intervenons dans les réunions institutionnelles (conseils d’administration, conseils pédagogiques, etc.) pour en dénoncer l’absurdité et le caractère morbide. Soyons « SUDversifs ».

Se redonner du temps

Les néo-libéraux nous volent du temps : par la multiplication des tâches (souvent absurdes et inutiles au détriment du véritable travail), par la multiplication des réunions, par la multiplication des « projets » divers qui empiètent sur notre travail avec les élèves. On nous vole du temps pour nous empêcher de penser, de nous réunir, de discuter du sens de notre métier. Il s’agit d’éviter à tout prix l’action collective et d’empêcher l’émergence d’alternatives.

Alors, redonnons-nous du temps en utilisant toutes nos heures mensuelles d’information syndicale, nos droits aux stages de formation syndicale (12 jours par an), en organisant des discussions collectives en dehors de notre temps de travail et en boycottant les réunions qui ne sont pas dans nos obligations de service.

Se redonner de l’espace

Les néolibéraux confisquent nos espaces : par l’invasion du numérique qui abolit la frontière entre lieu de travail et domicile, par l’uniformisation et la dégradation des locaux et du mobilier sur notre lieu de travail, par l’uniformisation de la pédagogie.

Ré-investissons l’espace « lieu de travail » : il est à nous, pas à eux. Transformons la salle des profs, enrichissons le panneau syndical, organisons les tables en cercle, personnalisons nos casiers, etc. Protégeons notre espace privé : combattons l’espace numérique de travail, refusons de nous aliéner à un outil de travail. Gardons enfin un espace de penser notre travail : on nous serine de suivre une progression didactique uniformisée, standardisée. Dans feu-les IUFM, nous, les stagiaires du 2nd degré avons bouffé, comme des oies du sud-ouest, de la didactique, sans jamais ou presque évoquer la question du sens de l’enseignement et de la pédagogie. D’autres pédagogies existent (groupe français d’éducation nouvelle, pédagogie Freinet, etc.). Réinvestissons ce chantier des nouvelles pédagogies, et imaginons-en d’autres.

Retrouvons le sens collectif et remettons un peu de relations humaines dans ce monde glaçant.

On veut nous faire croire que tout le monde serait remplaçable. Mais non : chacun est irremplaçable. Faisons attention à ceux qui souffrent dans nos établissements de ce management inhumain. Ce n’est pas nous qui sommes inadaptés, mais bien le système qui broie les individus. Cessons de nous replier sur nous-mêmes, soyons solidaires. On voudrait également nous faire croire que tout est normal et inexorable, qu’il n’y a pas de problème, que tout se vaut. Que ceux qui souffrent ou voient des problèmes partout sont « paranos ». Non : réaffirmons nos positions et défendons-les collectivement.

Notre hiérarchie tente de nous diviser et de casser le collectif en montant les personnels les uns contre les autres, en individualisant les rapports entre la hiérarchie et les personnels, en intimidant, en surveillant, en harcelant… ou plus simplement en achetant l’allégeance de certains collègues par la distribution de faveurs (heures supplémentaires, organisation du travail favorable, primes…), ou par la mise en place d’échelons hiérarchiques intermédiaires (ex : les nouveaux préfets des études, l’accroissement des pouvoirs des directeurs d’écoles). La création de collectif doit donc passer parfois par des rapports conflictuels avec certains collègues qui sont de fait devenus nos supérieurs. C’est parfois regrettable mais le faux consensus ne fait rien avancer du tout, c’est la négation de la démocratie et de la diversité. C’est faire le jeu du pouvoir : « pas de vagues ».

Dans les établissements nous devons également construire et développer un travail collectif avec les parents. Nous avons tous certains élèves qui nous cassent les pieds, pour utiliser un euphémisme. Bien souvent nous sommes tentés de rejeter la faute sur eux ou sur l’éducation qu’ils ont reçue de leurs parents. C’est naturel de se protéger ainsi mais ne nous voilons pas la face : cette fracture de plus en plus abyssale entre corps enseignant et parents, entre fonctionnaires et usagers, n’est pas due au hasard, elle est organisée. Il s’agit de l’un des maillons du sabotage généralisé du service public avant sa braderie au secteur privé. Les parents d’élèves et les élèves souffrent autant sinon plus que nous de ce système scolaire qui exclut et joue le rôle d’un ascenseur social qui partirait du sous-sol pour la grande majorité et de l’avant-dernier étage pour un groupuscule de privilégiés. Les parents d’élèves, travailleurs dans le public ou dans le privé, avec des boulots précaires, au chômage, ou encore au RSA, souffrent autant ou plus que nous et sont aussi broyés par le système. Tous les secteurs sont touchés par la destruction de la vie au profit d’une minorité.

Nous devons résister et lutter pour construire ensemble une autre école, plus égalitaire, plus vivante, plus émancipatrice, plus humaine.

Certains diront : ça ne sert à rien de lutter à notre petite échelle, localement, de ne s’attaquer qu’aux petits maillons locaux de la chaîne néolibérale : ce qu’il faut, c’est attaquer le néo-libéralisme lui-même. Ah oui ? Peut-être, mais alors où va-t-on le chercher, ce néo-libéralisme, pour le détruire ?

C’est bien sur nos lieux de travail et au quotidien, en interaction avec les luttes qui se mènent partout ailleurs, que nous pouvons transformer les choses. Voilà le secret d’une lutte victorieuse :

« Se redonner des mots, du temps, et de l’espace,
pour reconstruire du collectif »