LE CONTRÔLE CONTINU AU BACCALAURÉAT : LA FIN DE L’ÉQUITÉ

jeudi 9 décembre 2004
par  Sud éducation 66

On a, à juste titre, beaucoup discuté et critiqué les propositions du rapport Thélot. Mais notre ministre n’entend pas l’appliquer en totalité, et envisage même de “pimenter” la future loi d’orientation de l’Education nationale de quelques idées de son cru. Les rédacteurs du fameux rapport ont en effet “oublié” ou négligé certaines pistes permettant d’augmenter les inégalités entre les établissements (et donc les élèves) socialement favorisés et les plus démunis. Parmi les “innovations” que François Fillon entend introduire, un vieux serpent de mer : l’instauration d’une part de contrôle continu au bac. Rappelons pourquoi une telle mesure serait scandaleuse.

Un bac à deux vitesses (et plus…)

La principale injustice du contrôle continu au bac provient d’une autre injustice : les différences, parfois vertigineuses bien que sans existence officielle, de “prestige” des établissements, qu’ils soient publics(1) ou privés. Dans sa forme actuelle, le baccalauréat annule en quelque sorte ces différences : l’anonymat et le fait que tous les candidats passent les mêmes épreuves garantissent qu’à notes égales, deux bacheliers d’une même série sont “scolairement égaux”, même si le premier vient de Louis-le-Grand à Paris et le second d’un lycée de ZEP. Le contrôle continu, même partiel, rend par principe impossible cette égalité : même avec des notes supérieures, le second bachelier sera toujours victimes de la moindre exigence, réelle ou supposée, de ses professeurs s’il est comparé au premier.

Certains, tout en acceptant ce raisonnement, répondront qu’on ne ferait là qu’entériner un état de fait, celui des inégalités sociales, montrant seulement par là le peu d’ambition qu’ils assignent à l’école.

Le non-anonymat des élèves

Le principe de l’anonymat des candidats à un examen écrit (et a fortiori un concours) garantit la neutralité de la correction, avec un double avantage : il s’agit autant d’empêcher l’éventuelle partialité (dans un sens ou dans l’autre) des enseignants que de protéger ces derniers des soupçons de partialité, double avantage qui disparaîtrait avec le contrôle continu.

Les pressions sur les enseignants

Parallèlement, le contrôle continu au bac aurait pour inévitable conséquence l’augmentation de la pression des parents sur les enseignants, cette pression étant déjà en augmentation constante, allant parfois jusqu’à la violence verbale, voire physique. Mais il s’agirait aussi de la “pression” beaucoup plus douce, qui pourrait même ne pas être explicite, d’un collègue dont un enseignant aurait l’enfant en classe. Il s’agirait enfin de la pression, là aussi sous des formes et des degrés divers, des chefs d’établissement attachés au sacro-saint taux de réussite de leurs élèves. On ne peut en outre pas exclure que des enseignants peu scrupuleux trouvent dans le contrôle continu un moyen de passer à peu de frais pour de bons profs, nous rappelant, s’il était besoin, qu’on ne peut pas être à la fois juge et partie.

S’il ne s’agit évidemment pas de faire du bac actuel un modèle d’équité, ne serait-ce que parce qu’il est le terme d’un système scolaire qui, malgré les efforts des enseignants, ne fait que reproduire les inégalités sociales (toutes les études sociologiques sont sur ce points d’une tragique limpidité), il est de notre devoir de nous opposer à l’introduction du contrôle continu au baccalauréat, qui accroîtrait encore ces inégalités.

Marc Anglaret

(1) On connaît le fallacieux argument défendant l’existence scandaleuse des lycées publics “d’élite” : « C’est ça ou les bons élèves vont dans le privé ». Ceux qui présentent cette triste alternative comme indépassable montrent seulement qu’ils n’entendent pas donner à l’enseignement public les moyens qu’il mérite ou, ce qui revient au bout du compte au même, que la capacité du privé à sélectionner ses clients par l’argent (grâce aux subventions publiques d’ailleurs) ne les choque pas.