ET APRÈS !

lundi 18 juin 2012
par  Sud éducation 66

Par Patrice Bégnana

Le 6 mai, les suffrages exprimés ont désigné un nouveau président de la République. Et après !

Depuis cinq ans ou plutôt dix ans une politique essentiellement comptable s’est abattue sur l’Éducation nationale en particulier et sur la fonction publique en général. Le principe en est simple, un fonctionnaire coûte alors qu’un service privé rapporte. Donc, supprimons le plus possible de fonctionnaires et transférons leurs activités au secteur privé. Voilà ce qu’on nous répète quotidiennement.

Principe absurde. Faut-il rappeler qu’un service coûte toujours ? Les frais de scolarité qui s’élèvent pour les familles à 13 000 euros par élève en moyenne dans les lycées privées anglais le prouvent. La différence entre le public et le privé est que chacun paie en proportion de ses moyens pour le service public et reçoit – en théorie – le même service alors que pour le service privé chacun paie le service en fonction de ses moyens. Si n’existait que le privé, ceux qui n’ont aucun moyen ne recevrait aucun service.

Ce rappel d’évidences permet de voir que derrière les chiffons rouges de la dette, des charges, etc. se profilent le progrès de l’idéologie néolibérale pour laquelle l’État n’a qu’une mission : organiser le marché et donc la marchandisation de toutes les activités humaines.

Certes, le néolibéralisme n’est pas le libéralisme. Il prévoie et accepte que les plus démunis perçoivent un minimum vital, un minimum scolaire, un minimum de santé, un minimum carcéral, etc. Ce qu’il vise, c’est que tout ce qui se situe au-dessus de ce minimum, nécessaire pour que la société fonctionne et le marché avec lui, soit confié au privé.

C’est pour cela qu’il n’est pas sans intérêt de citer un chiffre éloquent. D’après le “think tank” Terra Nova, proche du nouveau pouvoir, ce sont près de 160 000 postes que le ministère de l’Éducation nationale a perdu depuis… 2000. La saignée avait commencé avant le changement de majorité en 2002. Il n’y a pas eu rupture mais continuité. Et les premières annonces ou les promesses de campagne sont tout aussi claires. Pour remplacer la diminution des postes dans l’Éducation nationale – près de 80 000 depuis 2007 – les 60 000 postes promis seront pris dans d’autres ministères. Pour pallier les difficultés dues aux 14 000 dernières suppressions de postes, 1000 postes seront créés.
Au transfert du public au privé du coût s’est ajouté pendant deux législatures une série de “réformes”. À chaque fois, le constat qui est présenté a la simplicité d’une interview de Pierre Bourdieu (1930-2002) : le système scolaire produit des inégalités. Déjà un ministre célèbre promettait de dégraisser le mammouth pour lutter contre les inégalités. Et pour rétablir l’égalité, un seul moyen : la diminution de l’offre scolaire et le gadget.

À l’école primaire, le passage à la semaine de quatre jours a surtout été le passage à la semaine de 24 heures contre 26 antérieurement. Deux heures par semaine pendant cinq ans pour des programmes prétendument recentrés sur les fondamentaux. Quant aux deux heures de soutien hebdomadaire, si personne ne doute de la bonne volonté des professeurs des écoles, les aléas de leur distribution dans la semaine, voire la stigmatisation qu’elles impliquent doivent être mesurées à l’aune de la suppression massive de postes de RASED, c’est-à-dire de personnels formés au traitement des difficultés des élèves les plus fragiles.

Au lycée, la “réforme” a visé à diminuer les horaires des élèves qu’une campagne de presse systématique présente comme les plus élevées d’Europe pour des résultats qui seraient mauvais. La mauvaise foi est patente. Lorsque les services du premier ministre François Fillon montrèrent que le taux d’encadrement des élèves français était un des plus bas de l’OCDE, nul ne mit ce fait en relation avec les supposées mauvaises performances de notre système scolaire.

La “réforme” a aussi inventé de nouvelles façons d’enseigner tout à fait intéressantes. Ainsi désormais les élèves ont deux heures d’accompagnement personnalisé qu’il est possible d’effectuer comme cela se pratique dans certains lycées avec 35 élèves dans la même salle. Même lorsque les groupes sont réduits l’appellation est purement et simplement mensongère. La principale qualité d’un ministre de l’Éducation est maintenant la communication. Il va sans dire qu’un dispositif aussi absurde sur le principe, quelle que soit la façon dont les professeurs s’en sont emparé, est une cible pour une prochaine diminution d’horaires. Qu’on se rappelle les Travaux Pratiques Encadrés (TPE). Fer de lance de la réforme du lycée en l’an 2000, présents en première et en terminale, ils furent purement et simplement supprimés en terminale par le ministre de l’Éducation François Fillon et conservés en première sur la pression des élèves.

Le nouveau dispositif dit Éclair pour la prise en charge des établissements “difficiles” est le cas le plus intéressant de ce mouvement global qui a pour nom “réformes”. Il s’est accompagné d’une diminution des maigres moyens accordés aux Zones d’Éducation Prioritaires. Il conduit surtout à présenter dans la figure tutélaire du chef d’établissement, présenté comme un chef d’entreprise selon le gros bon sens du néolibéralisme, la panacée de toutes les difficultés scolaires. Dorénavant, il recrutera et distribuera aux professeurs méritants les primes. C’est sûr. Les inégalités vont toutes disparaître.

Le principe d’égalité auquel tout le monde souscrit d’autant plus qu’il est invoqué sans aucune précision sert donc à son contraire, c’est-à-dire renforcer les inégalités. Car le néolibéralisme ne connaît, en théorie, que l’égalité des chances. Tous sur la ligne de départ et que le “meilleur” gagne. Que la société ne soit pas l’organisation de la compétition, qu’elle implique la solidarité et l’unité, que la démocratie soit un mode de formation d’une pensée à l’écoute de l’autre, voilà des idées que le néolibéralisme exècre.

Tout ce que l’école, de la maternelle à l’Université n’enseigne pas, le privé le prend en charge. Bien sûr, les familles se chargent de ce que l’école ne fait pas. Et la reproduction sociale s’est accrue depuis que les classes favorisées ont lu et compris Bourdieu. D’inconsciente, elle est devenue une politique. La pseudo suppression de la carte scolaire en est un exemple qui a, dans certaines zones, renforcé l’inégale répartition des élèves en fonction de leur milieu socio-économique. Les officines privées offrent des cours en petits groupes, des préparations aux préparations avec l’aide de l’État qui a défiscalisé pour partie leur activité – ce qui accroît la dette, mais peu importe.

Étant donné la relative continuité de la politique éducative, le changement cosmétique annoncé qui consiste en gros à dire : on garde l’essentiel et l’on s’occupe de refonder l’école, c’est-à-dire d’inscrire dans le marbre les réformes néolibérales, est de très mauvais augures.

Et après ! Il n’y aura de transformation de l’école en un lieu d’éducation pour tous où le savoir et le savoir-être ne sont pas des armes pour écraser les autres dans la jungle urbaine du marché mais des acquis pour que chacun soit pour l’autre un moyen de sa propre réalisation que par la lutte contre la rationalité néolibérale qui conduit l’humanité à sa perte.