Édito - Réforme des retraites et 49.3 : Après le mépris, la lâcheté

lundi 30 mars 2020
par  Sud éducation 66

Christopher Pereira

La situation devient complètement absurde. Alors que le Conseil constitutionnel retoque la réforme des retraites, que l’Inspection Générale publie un rapport accablant sur les E3C et qu’un mouvement historique tant dans l’ampleur que la durée s’est construit depuis le 5 décembre, le gouvernement persiste dans une réforme d’une rare violence sociale. C’est peut-être ça, le problème. Comment continuer à répondre, à proposer des alternatives, à toute une caste qui n’écoute pas, qui ment et qui méprise ses interlocuteurs ? Car, en face, ils n’ont rien de constructif à proposer. Les propos de Jean-Michel Blanquer, interviewé par Léa Salamé le 26 février sur France Inter, sont d’ailleurs consternants tant ils sont mensongers dans la bouche de celui qui est depuis longtemps un spécialiste de la langue de bois.

«  Les professeurs les mieux payés d’Europe  »
Le mépris, premièrement, c’est de nous regarder dans les yeux et de nous mentir sans scrupule. Et pour cela, rien ne vaut quelques morceaux choisis de cette interview. En effet, Jean-Michel annonce beaucoup de choses mais ce sont surtout des annonces, sans chiffres concrets, sans programme concret non plus. C’est bien beau de déclarer «  Je veux faire des professeurs français les professeurs les mieux payés d’Europe  », mais ce n’est qu’une déclaration. Et soit dit en passant, y a du boulot pour y arriver et ça passe par autre chose qu’une pseudo-augmentation de 100 € pour les nouveaux professeurs. En effet, rappelons-le, le salaire brut moyen annuel d’un prof du secondaire en France en début de carrière est d’environ 30 000 € contre 50 000 € en Allemagne et 70 000 € au Luxembourg. À l’échelon maximal, il est de 65 000 € en France, 70 000 en Allemagne et 130 000 au Luxembourg. Or, nous voyons mal M. Blanquer doubler le salaire des enseignants. Qu’il dégèle déjà notre point d’indice, avec rattrapage des 10 dernières années. Cela augmenterait nos salaires d’environ 300 € en moyenne, déjà bien plus que les valorisations promises.

Une rémunération soumise au «  mérite  »
Enfin, c’est complètement assumé et dit. Une partie de cette valorisation sera bien soumise à ce que M. Blanquer appelle «  le mérite  ». Soit une notion tout de même difficile à cerner et évaluer. Pour notre hiérarchie, quel sera le professeur méritant ? Celui qui accepte tout ce qu’on lui impose, qui ne fera jamais grève, qui ne contestera jamais rien, qui acceptera des missions sur son temps de vacances, de cumuler des heures supplémentaires au mépris des créations de postes. Bref, celui qui croit et obéit sans discuter aux ordres de la caste dominante qui n’a de cesse que de protéger ses intérêts financiers au détriment de l’intérêt collectif. Primo Levi, survivant d’Auschwitz, disait : «  Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter  ». Le voilà, le bon méritant de M. Blanquer ! Et cela s’accorde tellement bien avec le premier article de la loi dite Pour une école de la confiance et qui consiste à museler encore davantage les enseignants.

Une redéfinition du métier d’enseignant
Ce que vise le gouvernement, par la loi Dussopt, loi dite de Transformation de la fonction publique, c’est tout bonnement la casse du service public et du statut de fonctionnaire. C’est dans cette ligne que s’inscrit Blanquer quand il soumet la valorisation à une redéfinition du métier. La novlangue fait son travail dans les discours : «  mérite  », «  flexibilité  », «  universelle  ». Qu’on peut remplacer par «  soumission  », «  mouvement forcé  », «  ciblée  ». Le ministre déclare ainsi : «  On se plaint que les compétences des professeurs ne sont pas reconnues, par exemple, vous parlez bien une langue étrangère mais vous enseignez une autre discipline, on n’en fait rien dans le système  ». D’abord, c’est faux puisqu’il y a les DNL. Ensuite, parler bien une langue ce n’est pas savoir l’enseigner. Enfin, cela veut dire que vous irez remplacer le professeur de langue s’il est absent. C’est comme ça que vous serez méritant. Et si vous ne le faites pas, ne vous étonnez pas d’avoir un mauvais emploi du temps à la rentrée ou d’être mal noté dans vos rendez-vous de carrière puisque de toute façon le pouvoir des chefs d’établissement sort renforcé par les réformes successives de l’Éducation nationale. L’enseignement bi-disciplinaire, la mobilité forcée, tout est déjà dans les tiroirs. Et si vous n’êtes pas content, les RH vous pousseront gentiment vers la sortie grâce à une rupture conventionnelle, déjà actée le 31 décembre 2019. Le statut de fonctionnaire est clairement attaqué.

Surdité face à la colère des enseignants
Enfin, dernière grande déclaration de notre ministre, la mise en place d’une grande consultation en ligne des professeurs pour tenir compte de l’avis des professeurs sur l’Éducation nationale. Cela a donné lieu à, peut-être, la meilleure question de Léa Salamé, laquelle se demande si ce n’est pas une manière de court-circuiter les syndicats. Blanquer nie, bien évidemment, mais comment ne pas le constater ? D’un coté, nous avons trois mois de luttes (grèves, manifestations, blocages), une mobilisation historique par son ampleur et sa durée (notamment chez les enseignants), des millions de grévistes soutenus par 60 % de la population, des salaires gelés depuis 2010 et jusqu’au moins 2022 ainsi que des enseignants grands perdants sur la réforme des retraites. En face, nous avons un gouvernement qui use de la répression policière pour passer en force, y compris sur nos élèves, une réforme pointée du doigt par l’avis négatif du Conseil d’État, des fausses promesses de revalorisation, des mensonges et des simulations truquées, et enfin un gouvernement qui en profite pour accélérer la casse du statut de fonctionnaire et augmenter le temps et la charge de travail des enseignants. Dans ce cas, il est indécent de la part du ministre de parler de dialogue social.

Comme si un tel mépris n’était pas suffisant, Édouard Philippe prétexte un conseil des ministres autour de la crise du coronavirus pour annoncer l’utilisation du 49.3 pour faire passer de force sa réforme. C’est désormais avec lâcheté que le gouvernement s’entête dans une stratégie de dépeçage des conquis sociaux et de remise en cause du système social français. Il est important de continuer à se mobiliser. L’intersyndicale interprofessionnelle a proposé une prochaine journée de mobilisation nationale le 31 mars. Cette date paraît lointaine au regard du mécontentement de la base. La fédération Sud éducation appelle clairement à une Blackweek de grève générale à partir du 16 mars. En attendant l’appel des autres syndicats et face à la provocation du 49.3, nous devons dès à présent continuer à nous rassembler en AG et à organiser des actions locales avec, comme ligne de mire, la Blackweek et le retrait du projet de réforme.