Edito : Question de genre

vendredi 21 mars 2014
par  Sud éducation 66

« On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin. » Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe 1, 1949.

Depuis quelques temps, les médias bruissent d’un débat qui touche à l’école. On l’accuse de promouvoir une mystérieuse théorie baptisée « théorie du genre ». Elle consisterait à nier les différences biologiques entre les sexes. Aussi cette « théorie du genre » qui n’aurait rien de scientifique, mais qui serait purement idéologique, aurait pour but de lutter contre l’hétérosexualité et de promouvoir l’homosexualité. D’aucuns se sont même émus de projet de cours de masturbation imposée aux enfants de l’école maternelle.

On lit aussi nombre de discours sérieux qui rappellent qu’il n’y a pas vraiment de « théorie du genre » mais plutôt des « études de genre » si l’on veut traduire les « gender studies » anglo-saxonne qui existent depuis les années 1960. Elles concernent nombre de disciplines, psychologie, sociologie, droit, histoire, etc. Leur objet est d’examiner comment se constituent culturellement les genres masculin et féminin dans les diverses sociétés. Autrement dit, le genre n’est pas seulement biologique. Longtemps en France, on a utilisé pour ce type d’études l’expression de « discriminations sexuelles ».

Platon, au livre V de La République, se demandait si les différences entre les genres masculin et féminin entraînaient des tâches différentes dans la cité. Et il répondait négativement. Parce qu’un chauve est savetier, interdira-t-on au chevelu de l’être ou inversement, faisait-il malicieusement remarquer ? Bientôt les parents d’élèves qui retirent leurs enfants de l’école demanderont l’éradication d’un penseur si dangereux des programmes de l’éducation nationale.

Car, s’il n’est pas très difficile de saisir que la biologie ne suffit pas à expliquer pourquoi on utilise le rose pour les filles et le bleu pour les garçons, il est par contre urgent de comprendre que la prétendue opposition à la « théorie du genre » a un objectif pratique : empêcher toutes les luttes contre les discriminations dont les femmes et les minorités sexuelles sont l’objet dans nos sociétés comme dans nombre d’entre elles.
On brandit l’évidence de la différence des sexes biologiques – ce qui n’est pas la question, on hurle à sa négation – ce qui n’est pas le problème et on finit par expliquer qu’il y a un ordre naturel qui justifie que les hommes, les vrais, dominent les femmes. Pour ce faire, on avance de mystérieuses qualités masculines et des prétendus choix féminins. On justifie les différences de salaires par des compétences naturellement différentes. Un darwinisme des plus sommaires d’origine américaine vient alors fonder les différences.

Il n’y a pas de théorie ou d’études qui ne soient discutables. Remettre en cause les évidences comme leur critique est une condition d’un libre exercice de la pensée. Dans le domaine du savoir, la critique est absolument essentielle.

Mais la mauvaise foi des prétendues critiques de la « théorie du genre » montre qu’il ne s’agit pas d’un débat théorique, mais d’une offensive de nombre de groupes divers et variés qui refusent l’égalité telle qu’elle est inscrite dans la constitution de la cinquième république. Leur idéal ou leur âge d’or est une sorte de nouveau moyen âge où les différences prétendument naturelles organiseraient une société hiérarchique où chacun aurait un rôle. Jouant sur les mots, ils utilisent « différence » là où ils pensent « inégalités ».

Défendre la cause des femmes et celles des minorités sexuelles, c’est défendre la cause de l’égalité. Elle ne consiste nullement à nier les différences. Elle consiste à refuser la domination, l’exercice du pouvoir par les uns contre les autres, la captation de la plus grande part des richesses produites par tous, l’imposition de toujours plus de travail pour les autres. C’est refuser d’assigner aux hommes une prétendue place naturelle, principe de toutes les discriminations. C’est donc promouvoir la liberté et ses aventures.

Patrice Bégnana.