Edito - Les miettes historiques du Grenelle

lundi 4 octobre 2021
par  Sud éducation 66

Christopher Pereira

Il y a peu de temps le ministère faisait passer au Bulletin Officiel une modification de la taille des Palmes Académiques1. Alors que nous émergeons avec difficulté d’une crise sanitaire mondiale, que les enseignant·e·s n’ont pas été considéré·e·s prioritaires dans les vaccinations et qu’ils et elles demeurent largement sous-payé·e·s par rapport aux autres enseignant·e·s de l’OCDE, augmenter la taille de ces médailles, était-ce vraiment une urgence ? Quitte à en décerner, des palmes, ce n’est pas vraiment celle de la considération envers les professeurs que mériterait M. Blanquer, mais plus certainement celle de l’hypocrisie.
En effet, à l’issue du Grenelle de l’Éducation, le ministre se targue de mettre sur la table 700 millions d’euros pour la « revalorisation » des professeurs, allant jusqu’à qualifier ce geste d’« historique »2. Certes, cela peut paraître une somme conséquente… Et ça l’est ! Mais n’oublions pas non plus que cette même année M. Blanquer a jugé pertinent de rendre de l’argent au ministère de l’Économie et des Finances. Et cela à plusieurs reprises : 200 millions en 2018, 40 millions pour 2020, puis 400 millions pour le budget 20213. Soit finalement à peu près la somme promise pour la revalorisation… Rien d’historique donc à nous rendre ce qui était en fait prévu à la base !
De fait, l’enveloppe proposée par le ministre est loin de compenser la perte du pouvoir d’achat des enseignant·e·s. À l’échelle du million d’agents travaillant pour l’Éducation nationale, cette initiative correspond à une trentaine d’euros par mois en moyenne, ce qui compense à peine l’inflation des deux dernières années. Plus affligeant encore, selon une étude des Stylos Rouges, « en intégrant le gel du point d’indice et l’inflation, seuls les deux premiers échelons (soit 4 % des enseignants) sont ou seront augmentés [alors que] tous les autres enregistrent une baisse du niveau de leur traitement depuis 20174 ». Oui, M. Blanquer, les professeurs s’appauvrissent et cela n’a pas cessé pendant votre mandat !
Alors, historiques, ces 700 millions ? Si la somme paraît conséquente, elle ne correspond finalement « qu’à » 0,03 % du PIB… Comme le rappelle Claude Lelièvre, historien de l’éducation : « Najat Vallaud Belkacem a obtenu une rallonge de 3 milliards d’euros pour le budget 2017 », plus de quatre fois plus que le prétendu geste « sans précédent » de Jean-Michel Blanquer5. Il n’y a pourtant rien d’impossible à revaloriser correctement les enseignant·e·s. D’autres fonctionnaires ont pu bénéficier de telles augmentations. C’est le cas des policiers qui ont été revalorisés en 2019 et 2020. Lucien Marboeuf l’explique de façon éclairante dans son blog : « […] cela a concerné tous les effectifs, chacun a reçu entre 120 € et 150 € nets de plus par mois, plus une prime exceptionnelle de 300 € pour une partie, et en octobre 2020 une nouvelle série de mesures a été décidée en leur faveur. Si les profs étaient traités de la même manière que les policiers, ce ne sont pas 700 millions qu’il aurait fallu débloquer, mais plus de 2 milliards. ». Soit environ 0,1 % du PIB…
Choisir de choyer sa police plutôt que ses enseignants, c’est un choix idéologique. En effet, il serait fort naïf de croire que Blanquer est un incompétent en poste. Au contraire, il a été choisi pour appliquer une politique néo-libérale destructrice pour le service public. Et cette mission, il l’applique comme un bon petit élève, consciencieusement. Quelles sont donc les missions de Super Blanquer6 ?
1. Mettre en concurrence les élèves au lieu de favoriser la coopération. Parcoursup en est l’exemple type, pratiquant une sélection arbitraire, sans transparence et sans s’adapter aux demandes des élèves.
2. Mettre en concurrence les établissements. Ici, la réforme du baccalauréat posant des inégalités entre les établissements affectera l’orientation de l’élève. Une discrimination selon l’origine en quelque sorte.
3. Mettre en concurrence les professeurs. Ici, la course aux heures supplémentaires, les postes profilés, la prime au mérite des REP+, le recours aux contractuel·le·s, les pouvoirs accrus des chefs d’établissement favorisent la docilité des enseignant·e·s pour obtenir des privilèges.
4. Mettre en concurrence les matières. La diminution des DGH oblige à jongler et délaisser certaines options et matières, renoncer aux demi-groupes, supprimer certaines matières, voire postes.
Ces mesures concrètes fracturent et détruisent le service public d’éducation. Pourtant, le Grenelle de l’éducation réaffirme la nécessité de mettre fin à l’individualisme, vante les valeurs du « collectif de travail », affirme l’importance de la coopération7. Quelle coopération ? Celle visant à l’émancipation collective, ou celle propice à la croissance économique et à l’accumulation toujours plus grande et indécente de capital par une minorité de la population ? Collectif de travail dans l’idée d’une gestion plus horizontale, ou en multipliant les postes intermédiaires et la verticalité de la hiérarchie toute puissante ? Fin de l’individualisme, pour une meilleure entente et une meilleure confiance, ou pour rendre plus « rentables » les personnels ?
Oui, le néo-libéralisme est doué pour s’approprier des éléments de vocabulaires progressistes à son propre service. Ici, tout est langue de bois et pour cela, le ministre de l’Éducation nationale fait le travail avec talent et opiniâtreté. Les enseignant·e·s ont bien des griefs à son encontre, n’en doutons pas8. Ainsi, ses dérives à l’extrême-droite, avec « les ravages de l’islamo-gauchisme » ou les tenues « républicaines » des élèves. Ou encore les répressions contre les enseignant·e·s qui le contestent un peu, comme les « trois de Melle ». Sans parler de la gestion catastrophique de la crise sanitaire… Enfin, le non-hommage scandaleux à Christine Renon ou la gestion maladroite de l’hommage à Samuel Paty ont été particulièrement indignes et décevants.
Si le bilan du ministre nous paraît justifier sa démission, ce n’est sûrement pas l’avis de celui qui l’a choisi. Blanquer obéit, le petit doigt sur la couture du pantalon. Il peut bien lancer de beaux discours, mensonges éhontés, rien n’y fait, la réalité demeure : baisse du pouvoir d’achat des professeurs, défiance vis-à-vis du ministère, concurrence entre les élèves, répression syndicale, système scolaire aggravant les inégalités entre les élèves… Face à ce constat, M. Blanquer mérite bien, lui, la palme de la langue de bois.


1. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043475451, consulté le 31 mai 2021.
2. Marboeuf Lucien, « Pourquoi les profs sont-ils mécontents qu’on leur promette 700 millions d’euros ? » in L’Instit Humeur, blog, consulté le 31 mai 2021.
https://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs/2021/05/30/pourquoi-les-profs-sont-ils-mecontents-quon-leur-promette-700-millions-deuros.html
3. Jarraud François, « 400 millions à nouveau économisés par l’Éducation nationale » in Le Café Pédagogique, consulté le 31 mai 2021.
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/02/19022021Article637493190622005086.aspx
4. https://www.lesstylosrouges.info/le-grenelle/ consulté le 31 mai 2021.
5. Lelièvre Claude, « Revalorisation Blanquer : ni historique, ni sans précédent », in Histoire et politiques scolaires, blog, consulté le 31 mai 2021.
https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/270521/revalorisation-blanquer-ni-historique-ni-sans-precedent
6. Leucha Antoine, « L’école Blanquer ou le dogme néolibéral de la concurrence appliqué à l’éducation » in Le Blog d’Antoine Leucha sur Médiapart, consulté le 31 mai 2021.
https://blogs.mediapart.fr/leucha/blog/080521/l-ecole-blanquer-ou-le-dogme-neoliberal-de-la-concurrence-applique-l-education
7. Paul Devin, « Le Grenelle enseignant et l’esprit d’équipe » in Le Blog de Paul Devin sur Médiapart, consulté le 31 mai 2021.
https://blogs.mediapart.fr/paul-devin/blog/300521/le-grenelle-enseignant-et-l-esprit-d-equipe
8. Svrdlin Jadran, « Le bon soldat Blanquer et nous », in Le blog de Jadran Svrdlin sur Médiapart, consulté le 31 mai 2021.
https://blogs.mediapart.fr/jadran-svrdlin/blog/090421/le-bon-soldat-blanquer-et-nous