Edito - Contre le Covid, contre le gouvernement, contre l’extrême droite

lundi 4 octobre 2021
par  Sud éducation 66

Adrien Marchand-Barrière

La voici enfin arrivée, cette rentrée 2021. Cela fait maintenant plus d’un an que nos professions doivent composer comme elles peuvent avec la pandémie, entre d’un côté les injonctions contradictoires sur l’école et sa non-contagiosité1 et de l’autre l’absence complète de moyens pour y faire face. En tant que professionnel·le·s de l’éducation nous nous sommes donc retrouvé·e·s, depuis le début, dans un « laisser-faire » ou, pour le dire plus simplement, un « chacun pour soi ».

C’est ainsi que du premier confinement jusqu’à cette rentrée, chacun·e se retrouve livré·e à soi-même face à un tâtonnement pouvant se révéler particulièrement hasardeux. D’un côté, notre mission de service public nous demande, par les valeurs qu’elle incarne, de défendre l’éducation de tou·te·s les élèves. Or tout le monde a bien rapidement remarqué que les cours à distance étaient surtout des cours d’éloignement social, les élèves les plus aisé·e·s n’ayant aucun mal à s’impliquer dans ce format inédit et balbutiant, mis en place à l’arrache, et les élèves les plus modestes n’ayant parfois pas de connexion, d’ordinateur ou même de lieu adapté pour pouvoir suivre les cours2. De l’autre, la situation sanitaire nous demande également d’être solidaires et de faire le maximum pour limiter la circulation du Covid. Or la circulation toujours haute du coronavirus et l’apparition de nouveaux variants sont autant de signaux d’un échec retentissant de ce côté-là également.

Cerise sur le gâteau, nous avons aussi l’immense honneur d’avoir un ministre présent et efficace qu’un steak sur une selle de vélo3 pendant une des crises les plus importantes que l’école ait traversées depuis la mise en place de la massification scolaire. Une génération entière d’enfants ont loupé plusieurs mois de cours sur au moins deux années scolaires d’affilée et RIEN n’a été prévu pour pallier cela. Alors certes, il s’agit du programme proposé par le béluga domestique de Macron, dont la pertinence reste largement à démontrer, et ce à tous les niveaux, mais le temps d’intégration scolaire perdu reste un élément qui risque de peser lourd et de renforcer les inégalités sociales.

L’arrivée de vaccins aurait pu mettre fin à ce drame politique et sanitaire, si le gouvernement, incapable de voir les citoyen·ne·s autrement que comme une réserve électorale à ménager selon l’opinion supposée majoritaire, n’en avait pas décidé autrement. La mise en place de la stratégie vaccinale s’est faite de manière complètement catastrophique. Alors que la prise de substances médicales nouvelles et produites dans des délais très courts nécessitait de toute évidence en France un certain sens des responsabilités (les derniers scandales en date n’inspirant pas vraiment la confiance dans l’industrie pharmaceutique), le gouvernement a rejoué l’épisode du premier confinement et l’épisode des masques en alternant le vrai et le faux, et une chose et son contraire. Alors que cet épisode aurait pu donner lieu en amont à la mise en place d’une relation de confiance entre soignant·e·s et patient·e·s, le clivage artificiel entre “pro” et “anti” vaccins, largement construit médiatiquement, a stigmatisé une partie importante de la population qui a de sincères doutes sur le traitement4. Cette communication qui n’a plus l’excuse de l’imprévisibilité des précédents épisodes, a montré le peu de cas que faisait le gouvernement de la gestion du Covid.

En effet, dans la droite lignée de Blanquer, la gravité du Covid a été globalement ignorée afin d’encourager (voire de forcer) le maintien de l’activité économique. Ce storytelling, utilisé dès les premiers moments de la pandémie, légitima les pans les plus réactionnaires du milieu scientifique, donnant le champ libre à Didier Raoult et consort, tous ces médecins et spécialistes autoproclamés qui avaient des comptes à régler avec le milieu de la recherche médicale5. Rapidement, le basculement dans une forme a demi assumée d’eugénisme émergea, la négation de la gravité de la pandémie allant de pair avec la négation du nombre de morts liées au COVID, de la surmortalité et ainsi de la nécessité de protéger les plus faibles.

Face à cette résistance que le gouvernement a lui-même alimenté, le gouvernement a ajouté la mise en place d’un pass sanitaire, censé améliorer la gestion de la pandémie. Seulement, alors que d’une part l’intérêt du pass a très vite été réduit à peau de chagrin, celui-ci a également incarné, à la suite de l’attestation, le contrôle brutal du gouvernement qui fait payer à la population qu’il dirige ses errements dans la gestion de la crise. Si la contrainte en temps de pandémie est nécessaire, elle ne peut se faire de manière centralisée quand la perte de confiance dans les autorités est déjà aussi prononcée, même en situation d’urgence. Au lieu d’être un outil de protection, le passe sanitaire a été réduit à un vague outil de contrôle de la population6. Alors qu’il y aurait pu avoir un mouvement à gauche qui réclame plus de moyens pour la santé et l’école face à l’investissement dans le contrôle et le sécuritaire, celui-ci n’a jamais eu l’occasion d’apparaître, le cadrage de la contestation adoptant de fait, les mots d’ordre de groupuscules peu intéressés par la défense de l’intérêt général. Malgré l’investissement sincère de militants dans ces manifestations, ils ne peuvent empêcher que celles-ci canalisent l’ensemble des mouvements opposés aux mesures sanitaires (anti-confinement, anti-masque, anti-vaccins…) autour de la liberté d’aller en terrasse et au restaurant7, rendant le mouvement anti-pass très majoritairement réactionnaire8.

Tout ceci pèse énormément sur notre quotidien, et semble avoir pour conséquence de réduire les militant·e·s refusant de cautionner les manifestations anti-pass à un attentisme peu satisfaisant. Comment faire ? En réalité, plus qu’une quadrature du cercle, il semble surtout qu’il s’agit d’un problème lié à la facilité avec laquelle les idées réactionnaires circulent. La vigilance antifasciste est donc beaucoup plus difficile, et par conséquent il faut prendre acte que l’extrême droite est une mouvance difficile à identifier et dont la principale stratégie consiste à s’inviter le plus possible où on la tolère9. L’alarme donnée par plusieurs militant·e·s et organisations antiracistes juives10 doit donc être prise au sérieux.

Or si les idées d’extrême droite ont la fâcheuse tendance à cadrer bien plus facilement le débat, c’est aussi par le fait de pouvoir imposer de faux problèmes, permettant de fermer le débat avant même qu’il ne débute11. Nous n’avons pas à choisir entre la scolarisation des élèves ou la protection de la population. Parce que l’une et l’autre sont liées, notamment par la mise en place de détecteur de CO2 (nécessaire pour vérifier facilement la ventilation des salles de classe) et de filtres à air (permettant de réduire la contagiosité de l’air)12, couplée à la réduction des effectifs et le recrutement d’enseignant·e·s supplémentaires. Nous n’avons pas non plus à choisir entre soutenir un pass sanitaire liberticide ou à manifester à côté de l’extrême droite. Tout comme les masques n’empêchaient pas de critiquer le gouvernement, la promotion du vaccin comme instrument nécessaire mais pas suffisant pour lutter contre la pandémie n’empêche pas de critiquer la mise en place d’une mesure qui aggravera les relations des classes populaires face aux autorités. Toutes revendications qui ne prend pas tous ces aspects en compte ne fait que reprendre un cadrage sur lequel notre camp ne peut pas gagner.

Reste à nous construire des espaces militants là où c’est possible, qui associeraient critique du capitalisme et de sa gestion autoritaire de la crise et autodéfense collective contre le coronavirus13 et les mouvements réactionnaires. Ces trois piliers de la crise politique actuelle ne peuvent plus être traités indépendamment par notre camp.


1. Covid-19 : « Il existe en France un déni du risque de l’épidémie à l’école », lemonde.fr, février 2021.
2. « L’école à la maison », amplificateur des inégalités scolaires, lemonde.fr, mai 2020.
3. Pas d’image de steak sur un vélo mais par contre une vidéo : « Jean-Michel Blanquer : Ministre de l’échec national », Blast, septembre 2021.
4. Thomas BONNIN, « Il est stérile de rattacher l’hésitation vaccinale au complotisme. », Carnet de recherche du projet ANR Epancopi, juillet 2021.
5. Christian LEHMANN, Covid-19 : onze mois à suivre « les Experts : autoproclamés », Journal d’épidémie, décembre 2020.
6. « Passe sanitaire : quelle surveillance redouter ? », La Quadrature du Net, août 2021.
7. Pour le moment, très peu de personnes ont été verbalisées pour non respect du passe sanitaire, alors que plusieurs opposants se fantasment régulièrement comme victimes d’une grande oppression lors des manifestations.
8. Notamment en se construisant majoritairement en opposition aux mesures sanitaires plutôt que contre la systématisation des politiques de contrôles et de surveillance.
9. Les personnes abordant des pancartes relativisant ostensiblement le génocide juif pouvant s’afficher tranquillement à plusieurs reprises dans les manifestations.
10. « La Shoah n’est pas un folklore, nos morts et nos souffrances ne sont pas vos cautions », Blogs de Mediapart, juillet 2021 et « Appel à l’action contre la vague antisémite, toujours plus présente », Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR), 13 août 2021.
11. Voir par exemple l’article suivant, très clair : « Ni Covid ni Macron », Contretemps, août 2021.
12. Revendications notamment défendues par Ecole et Familles oubliées, un groupe de parents qui effectue un travail de veille sur la circulation du Covid dans les écoles.
13. Lizzie CROWDAGGER, « Face au Coronavirus, appliquon l’autodéfense collective », crowdagger.fr, juillet 2021.