DES LUTTES

lundi 15 mars 2010
par  Sud éducation 66

Par Patrice Bégnana

Devant tant de cynisme, comment ne pas rester perplexe ? De jeunes retraités et des étudiants remplaceraient au pied levé des professeurs absents sur de courtes durées ! Des titulaires sur zone de remplacement (TZR) changeraient d’académie pour le même motif ! Le ministre, grâce à l’action médiatique de parents d’élèves, a fait semblant de découvrir le problème du non remplacement de professeurs absents. Il a donc décidé d’agir ou plutôt de communiquer selon le vocabulaire à la mode.

Une politique qui depuis au moins sept ans supprime massivement des postes (50 000 sur au plus 1 000 000 de fonctionnaires) peut-elle produire autre chose qu’une diminution des remplacements de professeurs absents quels qu’en soient les motifs et malgré l’augmentation des précaires ? L’entreprise de démolition de l’école publique exige ce genre de dysfonctionnement, prétexte de réformes dont l’échec permettra de proposer une nouvelle réforme plus destructrice que la précédente. Les remplacements de courte durée sont maintenant l’apanage des chefs d’établissements grâce aux décrets Robien. Ils devaient résoudre le problème des remplacements de courte durée, notamment grâce à une forte rémunération des professeurs remplaçants leurs collègues. Alourdir les services était une absurdité. Il n’est donc pas étonnant que cette merveilleuse réforme ne marche pas.

Faut-il vraiment relever que la prétendue nouvelle solution n’a aucun sens ? Pourquoi un jeune retraité passerait-il ses journées en guettant le téléphone pour remplacer immédiatement un professeur victime d’une quelconque grippe ? Quel étudiant attendrait, impatient, d’être appelé en plein cours pour rejoindre à l’autre bout d’une ville, d’un département ou d’une académie une classe qu’il verra deux jours ?

Toutefois, l’annonce mérite d’être mise en rapport avec la discussion qui va s’ouvrir sur les retraites et avec la disparition programmée de la formation des professeurs.

L’augmentation de la durée de cotisation pour une retraite pleine et entière couplée avec la mastérisation et la cessation d’activité obligatoire à 65 ans pour les fonctionnaires impliquent mécaniquement que plus aucun professeur ne pourra partir avec une retraite pleine et entière avant 65 ans. Non seulement la retraite à 60 ans sera réservée aux vainqueurs du loto ou de l’euro millions, mais la baisse des pensions est inéluctable. Le ministre annonce d’ores et déjà qu’il faudra pour vivre décemment travailler après la retraite.

Quant à la fameuse mastérisation, elle consiste bien à transformer par un coup de baguette magique un étudiant en professeur. Le traitement réservé depuis des décennies aux précaires, les anciens maîtres auxiliaires ou les nouveaux contractuels, qui consistait à les jeter devant les élèves sans formation, est purement et simplement généralisé. Il est donc de bonne logique néolibérale de prendre des étudiants infortunés et de leur faire effectuer des remplacements de courte durée entre deux réalisations de hamburgers dans quelques fast-foods.

Bien sûr, les mesures annoncées ne résoudront pas les problèmes de remplacement. Ils ont été créés par la puissance publique qui feint de les découvrir. Faut-il rappeler que pour six départs à la retraite, un poste est mis au concours chez les Conseillers d’Orientation Psychologues (COPsy) et que chaque jour des CIO disparaissent, y compris des CIO départementaux ? Plus globalement, le nombre de suppressions de postes dans l’Éducation nationale annoncé augmente chaque année (8 500, 11 000, 13 500, 16 000). Tout se passe comme si l’apathie de la profession permettait aux gouvernements depuis 2002 d’accentuer le projet de suppression de l’Éducation nationale.

Car, dans le fond, c’est ce qui est en jeu. Les privatisations du téléphone, du gaz, bientôt de la Poste, devraient être des avertissements suffisants. L’amour est précaire, pourquoi pas le travail, a-t-on dit. La possibilité d’embaucher sur des postes de fonctionnaires des CDI de droit privé et la possibilité de “licencier” des fonctionnaires sous prétexte qu’ils refusent trois fois des offres de reconversion montrent que les instruments de la privatisation de l’Éducation nationale sont là.

Le discours néolibéral sur la Fonction publique qui consiste à ne parler que de son coût prépare les esprits. Pour ceux qui s’illusionnent sur les avantages de l’enseignement privé parce qu’en France, il est subventionné par l’État, précisons que Le Figaro indiquait que le coût moyen de la scolarité dans les lycées privés anglais était de 13 000 € par an et par élève.

Que faire ?

On peut continuer à se promener cinq à sept jours chaque année en ordre plus ou moins dispersé pour protester et montrer notre désaccord. C’est déjà quelque chose. On se compte. On se dispute avec le ministre sur les chiffres. Bref, on offre aux collègues fatigués quelques jours de congé sans soldes.

Mais nos gouvernants ne nous demandent pas notre accord. Ils demandent aux organisations syndicales de ne pas amplifier le mécontentement comme Alain Minc, le conseiller spécial du président de la République, en a félicité certaines pour leur réussite à calmer la grogne sociale au printemps dernier.

Si les professeurs de l’enseignement public veulent autre chose qu’une mort lente, alors il faudra envisager des luttes d’une tout autre ampleur. Les seules luttes qui en valent la peine sont celles qui permettent de gagner. Et gagner, pour les professeurs de l’enseignement public, ce n’est pas simplement conserver l’acquis : c’est conquérir tout l’espace gagné par le privé et son esprit néolibéral. Gagner, c’est transformer l’Éducation nationale en un véritable service public.