DE LA PRÉCARITÉ DANS LE MONDE DU TRAVAIL

dimanche 11 mars 2007
par  Sud éducation 66

Motion adoptée par le congrès de SUD éducation en mai 2006

Pour avoir une vision juste de la précarité, il apparaît nécessaire de la replacer dans un contexte plus large que celui de l’Education Nationale ou de la Fonction Publique. Il faut de façon plus globale se livrer à une analyse des transformations sociales et politiques de ces vingt dernières années dont la précarité et son institutionnalisation par la précarisation généralisée est l’un des pivots.

POURQUOI LA PRÉCARISATION ?

Elle est la conséquence d’un changement de nature et de stratégie du capitalisme. En effet, au début des années 80, on est passé d’un capitalisme industriel à un capitalisme financier tourné vers la rémunération d’actionnaires cherchant des marchés nouveaux pour investir leurs capitaux insuffisamment rentables. Pour obtenir des profits et plus-values financières conséquents, la réduction de la masse salariale devient une des priorités essentielles du patronat. D’où la nécessité de faire tomber les protections sociales qui représentent un frein, une rigidité, pour les tenant-e-s de l’ultralibéralisme, de réduire l’inflation, hantise des investisseurs, et d’entretenir une insécurité sociale susceptible de paralyser les mouvements revendicatifs. Pour ce faire, les gouvernements et les organisations patronales ont su habilement utiliser les médias pour justifier la mise en place des stratégies nécessaires : casse du code du travail, des solidarités dans les entreprises, mise en concurrence de tou-te-s, culpabilisation des chômeurs/ses rendus responsables de leur « malheur », criminalisation des actions revendicatives, dénigrement et casse systématiques des services publics accusés d’alourdir la dette publique.

EN QUOI LA PRÉCARISATION PERMET-ELLE D’OBTENIR UNE PLUS GRANDE RENTABILITÉ ?

Il est évident que lorsqu’on n’a aucune garantie de l’emploi, on n’est guère enclin à protester contre les conditions de travail et de rémunération. Quand on est placé dans une situation d’évaluation individualisée des performances, on n’est guère enclin à considérer les collègues comme des « compagnons de misère » mais plus comme des rivaux, des adversaires, voire des ennemis. La solidarité est alors vécue comme un risque et non comme une nécessité. On est donc contraint à accepter n’importe quoi dans n’importe quelles conditions. Le « C’est toujours mieux que rien » fait des ravages. Le patronat a alors les coudées franches pour imposer ses conditions à des salarié-e-s soumis à toutes sortes de chantage : chantage à la délocalisation, au licenciement économique… victimes d’une hiérarchie dont les pouvoirs se renforcent. Le harcèlement et les souffrances au travail deviennent alors le lot quotidien d’un grand nombre d’entre eux.

COMMENT LA PRÉCARISATION EST-ELLE MISE EN PLACE ?

D’abord il faut mettre un terme aux freins, aux rigidités que représentent la protection sociale et le code du travail. Les droits acquis par la lutte sont présentés comme des privilèges, des symboles passéistes qui s’opposent à de nécessaires réformes présentées comme modernistes. Les travailleurs/ses deviennent des paresseux (qui ne pensent qu’à la réduction du temps de travail), des fraudeurs (responsables des déficits des caisses de chômage et d’assurance sociale), des irresponsables (coupables de mal se comporter dans le domaine familial comme dans celui de la santé…). On en arrive donc à la notion de mérite et de chance qui sont des avatars de la sélection, du tri social que les ultralibéraux ont mis en avant au nom du politiquement correct. Les nouvelles générations ont été bercées par ces refrains : mobilité, flexibilité, responsabilité, mérite et autres… L’individualisme serait la seule réponse possible, la seule souhaitable, la seule valorisante et valorisée. Quelle mystification ! Et quelles souffrances pour ceux et celles qui vivent cette précarité ou qui la redoutent ! Enfin la politique sécuritaire joue un rôle fondamental dans cette précarisation. Elle s’exerce dans la répression syndicale, la stigmatisation de la violence dans les quartiers populaires, la chasse aux immigré-e-s et aux sans papiers en passant par le fichage des enfants dès l’âge de 3 ans et d’une proposition de loi rendant les organisateurs des manifestations responsables financièrement des débordements. Dans ces conditions, il devient plus difficile de lutter.

QU’EN EST-IL DE LA PRÉCARISATION DANS L’ÉDUCATION NATIONALE ?

L’Etat est le plus gros employeur de précaires (16% contre 12% dans le privé) et l’Education Nationale est majoritairement concernée. La précarisation s’y rencontre à plusieurs niveaux. L’Education Nationale s’adresse à des enfants de précaires, elle emploie des précaires, elle produit des précaires potentiels en les formatant au nom de l’employabilité par des dispositifs au rabais (PPRE, note de vie scolaire, apprentissage junior, orientation et bassin d’emploi…). Travaillent à côté des titulaires un nombre grandissant de vacataires, AE, CAE, Contrats d’Avenir..., gens de passage pratiquement invisibles (parce qu’ils ou elles ne veulent être vus ou parce qu’on ne veut pas les voir).

SUD éducation doit remplir une mission de sensibilisation des titulaires pour rendre visibles les précaires qu’ils côtoient. Il est nécessaire de mener ensemble, titulaires et précaires, dans une perspective solidaire, la lutte contre le recours croissant à la précarité dans l’Education Nationale.

En effet, le sort réservé aux précaires est largement inquiétant pour le statut même des titulaires : absence de formation initiale et continue, pression hiérarchique par la notation, flexibilité géographique et de fonction, etc. Gageons que si nous ne nous battons pas pour que nos collègues cessent de travailler dans ces conditions au rabais, demain, ce sont les titulaires qui devront les accepter. Et comment croire qu’un personnel précarisé, vivant dans l’insécurité sociale, puisse satisfaire les missions émancipatrices pour tous et toutes que nous souhaitons donner à l’École ?

QUELLES RÉPONSES SUD ÉDUCATION PEUT-IL APPORTER ?

Les syndicats sont trop souvent absents dans les luttes contre la précarité, et SUD éducation, même s’il a été plus actif, n’est pas encore assez visible. Les propositions que SUD éducation avance sont à inscrire dans le cadre interprofessionnel de Solidaires puisque la précarité se vit dans la société toute entière. Dans notre champ professionnel et celui de la fonction publique, nous réaffirmons notre revendication d’une titularisation pour toute- s sans conditions (avec l’arrêt évidemment du recrutement par contrat précaire et l’augmentation du nombre de titulaires) et l’unification des corps, des statuts et des salaires.

La solidarité avec les précaires passe aussi au niveau local par le combat et le soutien aux collectifs de précaires, quand ils existent, pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail, leur réemploi dans les meilleures conditions possible (salaires, droits à la formation, droits syndicaux, sociaux…). Les combats contre la précarité ne peuvent être menés sans les précaires : Solidaires se doit d’être au coeur de ce combat et SUD éducation, par son implication directe et indirecte, a un rôle majeur à jouer. Nous vivons cette précarisation grandissante, nous la côtoyons au quotidien à travers les élèves et leurs parents. Notre lutte s’inscrit complètement dans notre exigence d’une Ecole de qualité pour tou-te-s et pour une égalité des droits et non des chances. Si une des fonctions de l’Ecole est d’apprendre à lire, cet objectif prend un sens particulier : apprendre à lire les mots mais surtout à ôter les masques dont les tenant-e-s de l’ultralibéralisme les affublent pour mieux mystifier : chance ou privilège au lieu de droits, mérite au lieu de besoin, charité au lieu de solidarité. Et c’est là que notre syndicat affirme sa singularité : solidarité professionnelle, interprofessionnelle, intergénérationnelle et international.