Bilan et perspectives

vendredi 16 septembre 2016
par  Sud éducation 66

Patrice Bégnana

C’est la dernière rentrée de l’actuelle législature. Il est donc possible de commencer à faire le bilan de l’action gouvernementale. L’actualité médiatique qui a précédé la rentrée scolaire a montré à quel point les partis de gouvernement s’intéressaient à des questions plus essentielles que celles des contre-réformes de l’école. Ainsi en va-t-il du burkini ! C’est un maillot de bain inventé par une Australienne il y a une vingtaine d’années pour permettre aux musulmanes qui ne veulent pas se baigner en bikini ou en maillot une pièce (encore moins en monokini) de ne pas le faire habillées. Quel que soit le jugement esthétique qu’on peut porter sur ce type de vêtement, quel que soit le jugement moral, si on tient à juger moralement de vêtements, le déchaînement sur cette question a été étonnant. La République était menacée dans son existence même, entendait-on. Dans le même temps, le bilan de 497 morts dues à la pauvreté pour l’année 2015 (498 pour l’année 2014) n’a pas eu la faveur de tous les défenseurs de la république. Pendant ce temps, « les dividendes versés dans le monde entre avril et juin ont rapporté 372 milliards d’euros aux actionnaires selon une étude publiée lundi 22 août par le gérant d’actifs Henderson Global Investors. Ce total représente une hausse de 8,5 milliards d’euros par rapport au deuxième trimestre 2015. » (Le Monde du 22 août 2016). Bref, les républicaines indignations font fi de la misère.

La ministre de l’éducation, quant à elle, a trouvé deux thèmes absolument essentiels pour cette rentrée : la sécurité et les Pokémons rares. Que 33,3 % des enfants qui vivent sous le seuil de pauvreté aient des problèmes respiratoires contre 7,1 % pour les autres enfants par exemple est bien moins important que de savoir si les élèves vont chercher des Pokémons rares. Quant à la sécurité, ne serait-elle pas mieux assurée par une école capable de former de façon à ce que nul ne tombe dans le fanatisme meurtrier ?

Par contre, le constat d’une ségrégation sociale dans les collèges, notamment à Paris, que Thomas Piketty a dénoncé dans les colonnes du Monde, lui a d’abord arraché un cri pathétique : on ne peut imposer la mixité sociale. Autrement dit, que certains collèges pratiquent sur fonds publiques l’entre-soi en concentrant les dérogations à la réforme du collège (à Paris, toutes les classes bilangues, sections européennes, options latin et grec dénoncées par la ministre comme des passe-droits pour l’élite – ce qui reste à voir – ont été conservées) pendant que d’autres concentrent les populations défavorisées et ont vu perdre leurs moyens (par exemple dans l’académie de Caen où les suppressions d’options ont été radicales) est une bonne chose. Obliger par exemple le privé sous contrat, c’est-à-dire financer par l’impôt y compris des plus pauvres qui ont subi les augmentations de TVA, obliger le privé à ne pas sélectionner en fonction de l’origine sociale – ce que d’autres pays européens font – voilà qui serait pour notre ministre intolérable. Quant aux inégalités, on peut les conserver. Puis la ministre a dû se raviser puisque l’Académie de Paris veillera à ce que les affectations ne créent pas de ghettos… dans le public uniquement.

Le maigre bilan de la grève pour demander la suspension de la contre-réforme du collège ne signifie nullement que la profession l’a acceptée. Pour la ministre : tout va bien. Que dans les faits, peu de collèges l’appliquent avec conviction (un quart selon le syndicat des chefs d’établissement dont le point de vue est à considérer avec précaution), signifie pour la ministre qu’il n’y a que 5 à 10 % de collèges qui ont résisté : tout le monde est rentré selon elle dans le rang. Ici ou là, la presse se fait l’écho de journées de formation lamentables qui confirment l’improvisation coupable de cette machine à économiser des heures.

La désastreuse contre-réforme des rythmes scolaires dont l’évaluation par l’inspection indique qu’elle produit une plus grande fatigue des élèves (ce que n’ont pas constaté des chrono-biologistes appointés par le ministère sur un petit échantillon d’élèves) a surtout pour effet d’accroître le nombre de villes qui font payer les activités péri-éducatives (un tiers dès cette rentrée). Bref, l’institution de l’inégalité est l’effet le plus visible de cette contre-réforme pendant que la nécessaire réforme des rythmes scolaires qui aurait dû être effectuée attend.

Subitement, le président de la République a annoncé une réforme future du lycée. Or, la désastreuse contre-réforme Chatel – dont celle du collège n’est qu’une resucée – n’a jamais été évaluée. Elle était accompagnée d’une baisse des postes. N’est-ce pas le point positif pour nos gouvernants néolibéraux ?

Il est vrai que le nombre de postes mis au concours a augmenté durant cette législature. Le gouvernement se vante d’avoir créé plus de 40 000 postes. En réalité, sont comptés comme postes non seulement les postes occupés par des stagiaires, mais également les postes non pourvus. Aussi, le nombre de non-titulaires s’accroît. De sorte que le bilan en termes d’emplois sera celui de l’accroissement de la précarité. Comme dans le même temps, les effectifs d’élèves augmentent, le compte n’y est pas.

Côté salaires, après avoir continué le gel des salaires, le gouvernement a procédé à la création puis à l’augmentation d’une prime pour les professeurs du premier degré. C’est l’équivalent de l’ISOE que touchaient les professeurs du second degré en exercice. Il a aussi décidé deux augmentations de 0,6 % (l’une en juillet et l’autre en février 2017), soit 12 euros pour un salaire de 2000 pour la première augmentation. Dans le même temps, le gouvernement a mis en place une nouvelle carrière qui ne permettra qu’à 10 % des professeurs d’accéder à la nouvelle classe exceptionnelle. Rien de nouveau dans la hiérarchisation, la caporalisation et l’infantilisation qui tiennent lieu de politique des “ressources humaines”.

Un tel bilan montre que les contre-réformes n’ont d’autre but que de permettre que «  pour que tout reste comme avant, il faut que tout change  » selon la formule du Guépard. Sur le fond, la prétendue lutte contre les inégalités vise à les maintenir.
Dénoncer ce bilan catastrophique, ce n’est pas être conservateur. C’est au contraire mettre en lumière le projet fondamentalement pervers de la prétendue refondation de l’école dont le seul effet est le maintien des inégalités sociales et leur reproduction grâce à l’école.

La seule perspective est celle de la lutte pour obtenir une véritable transformation de l’école.