« Aie confiance... »

lundi 18 mars 2019
par  Sud éducation 66

Héléna Molin

La première fois, c’est toujours un peu émouvant. En tout cas, on s’en souvient. De ma première audience avec une brochette de hiérarques de l’Inspection, DASEN en tête, je me souviens d’une chose : le sourire narquois de l’un d’eux et mon bouillonnement intérieur. Sidération, tétanie, incapacité à répondre. Pourquoi ? Nous étions en train de parler des heures supplémentaires non-rémunérées imposées aux PE par le nouveau dispositif d’éducation prioritaire de l’époque, au nom savamment composé pour inspirer confiance et foi en sa réussite rapide : ECLAIR. Éclair de génie de la part du service com’ du ministère. Après tout, peu importe le sens, pourvu qu’on ait l’ivresse !
Un camarade syndicaliste s’insurge donc et – malheur à lui – il emploie une arme qui se retournera bientôt contre lui : un simple mot. Un joli mot.
Syndicaliste : «  Mais enfin M. le DASEN, on ne peut pas imposer aux PE de CM2 de faire du BÉNÉVOLAT  »
Hiérarque : «  BÉNÉVOLAT ! Mais c’est beau le BÉNÉVOLAT ! Enseignant, c’est un métier de vocation tout de même !  »
Sourire narquois. Bouillonnement intérieur. Tétanie.
Comme la seule chose qui vous vient à l’esprit à ce moment-là est une insulte, vous vous taisez. Ce n’est pas que vous êtes à court d’arguments ou que vous êtes soudainement pris d’une forme aiguë de syndrome de la Tourette. C’est que votre interlocuteur utilise l’arme de destruction massive du dialogue, qui met à bas l’honnêteté, tue la discussion et ruine la confiance : LA MAUVAISE FOI.
Utiliser une noble idée pour parer de vertu sa propre bassesse, utiliser le «  bénévolat  » pour justifier sans vergogne l’exploitation de son personnel, quel sommet de tartufferie et de perversité langagière… Sourire narquois, donc. C’est drôle d’ailleurs, parce qu’Édouard Philippe vient justement de faire le buzz en utilisant ce joli mot de «  bénévolat  », pour justifier le travail contraint et l’exploitation des bénéficiaires des aides sociales qu’il appelle de ses vœux, en stigmatisant ces pauvres gens par la même occasion…
Franck Lepage [1] parle de «  pensée positive  » pour mettre un mot sur cet avatar de la langue de bois libérale face à laquelle nous – qui nous y opposons – sommes démunis. La «  pensée positive  » est une langue de bois perverse qui tord les jolis mots et les belles idées, en utilise le pouvoir émotionnel et masque ainsi la véritable nature de ses intentions.
Ainsi, tel un publicitaire qui met en scène, dans un décor de forêt automnale, des enfants des années 30 qui font griller au feu de bois une saucisse Knacki à la composition plus que douteuse, Jean-Michel Blanquer, passé maître dans l’art de la langue de bois positive, a choisi la CONFIANCE pour parer de vertu son projet de PRIVATISATION de l’école.
La confiance, une belle idée morale. De la pensée positive, donc. Mais une idée complètement vide de sens d’un point de vue politique et qui ne dit en fait pas grand-chose. De la langue de bois, donc. Une formule que la majorité des esprits interpréteront de la manière suivante : «  l’école actuelle est une école dont il faut se méfier et qu’il faut transformer pour rétablir la confiance  ». Attaque larvée tout enrobée de miel. Perversité donc. Prenez ça sur la tête, chers collègues et maintenant taisez-vous, faites preuve d’EXEMPLARITÉ comme vous le demande l’article 1 de la loi. Vous osez critiquer «  l’école de la confiance  » ? C’est bien la preuve qu’on ne peut pas vous faire confiance !
Osons donc, tant que nous pouvons encore le faire, décortiquer le rapport entre les mesures phares de ce projet de loi et la confiance.
La maternelle obligatoire dès 3 ans alors que 97 % des enfants de cet âge sont déjà scolarisés, quel rapport avec la confiance ? Aucun. Quel rapport avec la privatisation de l’école ? Les maternelles privées pourront être subventionnées par l’État, leurs locaux entretenus par les mairies, et il y a fort à parier que beaucoup de PE sous-payés, rêvant d’un poste en maternelle et de matériel Montessori, y trouveront vite refuge…
Les AED-étudiants en «  métiers de l’éducation  » qui assureront des fonctions d’enseignement, quel rapport avec la confiance ? Aucun. Bien au contraire. Les parents ont déjà du mal à faire confiance aux titulaires qui ont de la bouteille. Quel rapport avec la casse des statuts de la fonction publique ? Non seulement on va créer une main d’œuvre à très bas coût pour assurer des remplacements, mais on prépare une armée de futurs contractuels ainsi mal « formés » et prêts à l’emploi d’ici 2022. À mettre en lien avec l’autre bombe atomique législative présentée il y a quelques semaines : le projet de loi sur la transformation (traduire « destruction ») de la fonction publique. Après les télécoms et les PTT, les derniers bastions de la fonction publique sont donc appelés à recourir massivement à la contractualisation. Rappelons que déjà aujourd’hui, 20 % des collègues du secondaire sont contractuels. Fonctionnaire sache-le, tu es une espèce en voie de disparition ! Les braconniers libéraux sont à tes trousses et veulent ta peau !
La création des établissements publics locaux d’enseignement international [2], quel rapport avec la confiance ? Aucun. Ah si pardon… Que les riches expatriés soient rassurés, ils pourront désormais bénéficier en France d’un service d’éducation gratuit, bien mieux doté que les autres établissements, avec des professeurs étrangers engagés sous des contrats spécifiques afin d’échapper à la grille de rémunération ridicule qui est la nôtre. Cela pourra sûrement également profiter à quelques officines privées qui offriront des cours particuliers de langues aux gosses de maternelle des familles aisées cherchant à faire rentrer leurs marmots dans ces niches éducatives dont l’Éducation nationale française a décidément le secret !
Enseignement privé et niches éducatives pour riches renforcées, école publique et personnels éducatifs précarisés… Blanquer est bien le ministre de « l’école des riches » et ceux-là ont bien raison de lui faire confiance. Quant à nous qui croyons au service public d’éducation, il ne nous restera bientôt plus que nos yeux pour pleurer et des drapeaux dans nos classes…