À l’Éducation, rien de nouveau !

vendredi 7 juin 2013
par  Sud éducation 66

Alors que s’égrènent des semaines de ponts et de rattrapages qui prouvent, si besoin en était, que les rythmes scolaires sont le dernier souci des autorités « compétentes », quelques annonces sont venues comblées les attentes de la communauté éducative.

Des annonces financières tout d’abord. Une prime pour les professeurs des écoles s’annonce. Son montant n’est pas connu. Elle est censée permettre un rattrapage selon l’expression
consacrée. Sachant qu’entre 2002 et 2012, avec la limitation de l’augmentation du point d’indice, puis son gel, les fonctionnaires ont perdu 13,5% de leur traitement, on imagine que ce hochet sera rapidement avalé par le gel du point d’indice qui a été « courageusement  » reconduit par l’actuel gouvernement.

Le cri du cœur ensuite. Le ministre a réuni l’ensemble des inspecteurs pour lancer un « je ne vous oublie pas  » adressé aux professeurs du secondaire. S’il pouvait.

De nouvelles matières ensuite. Non seulement, le ministre persiste dans son fumeux et dangereux projet de « morale laïque » ou « morale civique », on ne sait plus trop, mais le président de la république a inventé une nouvelle matière  : l’entreprise. On pourrait penser qu’il y a là une contradiction. Un jour, nos chères têtes blondes apprendront pendant leur cours d’entreprise comment licencier, délocaliser, geler les salaires, bref, comment traiter les salariés comme au Bengladesh. Et puis le lendemain, durant le cours de morale, ils apprendront à respecter l’autre, à être altruiste, etc.

Et pourtant, il y a peut-être bien entre les deux projets une unité profonde. Car, d’où vient cette obsession de la morale  ? Quelle morale  ? Que vient-elle faire à l’école et surtout quel problème est-elle censé résoudre ?Nos élèves manqueraient de morale. Il faudrait donc leur apprendre. C’est donc dire que la
situation qui est la leur est leur faute. Si leurs parents et leurs grands-parents n’ont connu que le chômage, c’est parce qu’ils manquaient de morale. Ils n’ont pas su faire les « efforts  »
nécessaires. Car, c’est bien connu, il faut faire des efforts : baisser son salaire, augmenter ses horaires, diminuer ses maladies sans sécurité sociale, diminuer ses congés maternité, augmenter sa durée de cotisation pour la retraite, etc. Et tout cela pour le bien de la république.

Si nos élèves ont du mal à apprendre, dans des classes surchargées, des programmes absurdes et contradictoires qui supposent trop souvent que l’essentiel ait été acquis dans le milieu familial – à commencer par un certain respect ou une envie du savoir – c’est leur faute. Ils sont responsables de croire qu’un professeur est inférieur à un curé et surtout à un sportif professionnel, un trader, un grand patron délocalisateur. Les valeurs de la république, ils ne les connaissent pas. Elles ne se montrent pas à eux tous les jours dans cette guerre à la compétitivité dont les cadavres des salariées de l’industrie textile du Bengladesh montrent l’incroyable beauté.

À quoi sert la morale ? Bien évidemment à faire comprendre à tous ses élèves qui échouent qu’ils sont coupables. Coupables d’être nés pauvres – économiquement ou culturellement. Coupables d’être là où ils sont alors que la république, notre mère à tous, dans sa grandiose générosité, nous a tous placés à égalité. Coupables de mal user de cette liberté qu’ils ont de travailler même s’ils n’ont plus d’électricité à la maison dans la chambre commune pour tous les enfants. Coupables de ne pas reconnaître cette fraternité qui est celle du monde de l’entreprise où chacun, dans cette belle concurrence, libre et non faussée, travaille pour écraser l’autre.

Enseigner l’entreprise et la morale. Telles sont les deux faces du néolibéralisme. D’un côté, construire une société où le marché est le principe régulateur de tous les comportements, ce qui
implique qu’il y ait des gagnants et des perdants. D’un autre, convaincre ces derniers qu’ils sont responsables de leur sort. On évite ainsi la seule chose qui fait encore trembler les néolibéraux ou du moins hante leur cauchemar. La lutte.

Patrice Bégnana