4 juillet 2019 : AVANT/APRÈS

lundi 23 septembre 2019
par  Sud éducation 66

Héléna Molin

En cette rentrée 2019, M. Blanquer, accroché à son ministère tel une moule à son rocher malgré sa gestion calamiteuse de la grève du bac, se gargarisait sur Europe 1 : «  C’est l’une des meilleures rentrées que j’ai connues !  »
Heureusement que M. Blanquer n’est plus Recteur de l’Académie de Créteil ! Sinon il aurait certainement passé sa rentrée la plus cauchemardesque : à Créteil, il manquait 6 ou 7 enseignant·e·s dans la majeure partie des collèges et lycées de l’académie, alors que plus de 1600 contractuel·le·s s’étaient vus signifier en fin d’année dernière le non-renouvellement de leur contrat, par un rectorat complètement débordé, incapable d’anticiper la rentrée.
Heureusement que M. Blanquer n’est pas l’un de ces contractuels. Ils sont en effet les premières victimes de son grand plan social, déguisé sous le nom de «  réforme du lycée  », cette usine à gaz savamment construite pour asphyxier les personnels et produire l’un des plus beaux écrans de fumée que la roublardise de nos gouvernants ait pu inventer ces dernières années afin de faire passer leurs plans d’austérité.
Heureusement que M. Blanquer n’est pas professeur de lycée, qu’il n’a pas passé une partie de ses «  vacances  » à préparer deux, voire trois nouveaux programmes pour découvrir à la prérentrée son emploi du temps «  gruyère  », ou pas d’emploi du temps du tout, ou pire, un changement de service inopiné annihilant d’un claquement de doigts tous ses efforts de l’été. Une pensée pour ceux qui ont découvert les nouveaux horaires de leur établissement : avant on angoissait à l’idée de faire un « 08h-18h », aujourd’hui on peut à certains endroits (lycée Jules Guesde à Montpellier) craindre le « 8h00-18h35 » ! Et l’année prochaine, peut-être un « 08h-20h » quand il faudra gérer en sus les emplois du temps de la nouvelle terminale ? Et du lundi au samedi, mercredi après-midi compris tant qu’on y est !
Heureusement enfin que M. Blanquer n’est pas chef d’établissement en lycée, sinon il aurait passé une partie de ses vacances à tenter de faire des emplois du temps à peu près acceptables. Et même lorsque nos chefs se sont sorti·e·s, avec plus ou moins de réussite, de cette première épreuve, leur satisfaction ne pouvait être que de courte durée à l’idée qu’il leur faudrait remettre ça l’été prochain. Deux étés pourris, ce sera leur double peine pour avoir laissé passer ce monstre de réforme.
En effet, le 3 juillet, par écran de télévision interposé, leur Ministre leur demandait, ainsi qu’aux membres des jurys « souverains », de transgresser le cadre légal du code de l’éducation. Le 4 juillet une consigne au format A4, sans aucune valeur légale, signée par personne, ni Ministre, ni Recteur, ni DASEN – et pour cause ladite consigne était totalement illégale ! - circulait dans tous les centres d’examen. Des centaines de jurys ont cependant refusé de statuer sur les élèves sans note. Pourtant le 5 juillet, tous les candidats avaient un résultat, ce qui n’aurait pas été possible si des faux en écriture n’avaient pas été commis de manière massive par les chefs de centre, après les délibérations, mais surtout parfois avant celles-ci, voire pendant ! Vous ne connaissez pas la meilleure (et elle vient de notre académie !) : c’est l’histoire d’une chef de centre qui s’introduit entre midi et deux dans des salles de jury et qui rentre des notes fictives en usurpant l’identité des présidents de jury pour leur faire croire que les copies ont été rendues et les notes remontées dans la matinée ! Ce qui s’est passé le 4 juillet est un scandale auquel ont assisté des milliers de membres de jurys, un scandale peut-être plus difficile à percevoir pour le reste de nos collègues et de la population. Un scandale qui laissera à n’en pas douter des traces, car il a discrédité le bac 2019, mais aussi toute notre institution.
Il y a un avant et un après « 4 juillet 2019 ».
AVANT il y a eu la montée en puissance d’un mouvement protéiforme, qui échappait en grande partie aux organisations syndicales
 : il s’auto-organisait en AG dans de nombreux départements, mais aussi sur les réseaux sociaux, avec l’émergence des Stylos Rouges et des CRBP (Collectif contre les réformes Blanquer et Parcoursup). Des milliers d’actions dans les écoles et les bahuts ont eu lieu pendant 5 ou 6 mois, sans que la presse nationale n’y prête attention. Mais ces actions ont fait monter la sauce pour déboucher finalement sur ce mouvement inédit : la grève des notes. Inédit car doublement sacrilège : pour la première fois depuis 1968 on osait toucher au bac ; pour la première fois, un mouvement « dur », capable de passer la barrière médiatique, était initié par une « base d’enseignant·e·s » hors de toute consigne des syndicats (mais avec le fort soutien de certains !).
APRÈS, il y a la sidération : sidération face à un pouvoir autoritaire, capable de faire fi de l’État de droit, capable d’utiliser les violences policières pour mater les manifestations et les mouvements sociaux (au même moment, ce 4 juillet 2019, les Nantais se demandaient encore « Où est Steve ? ») ; sidération de voir toujours en place un ministre qui a préféré transformer le bac en mascarade, plutôt que de décaler d’un jour ses résultats, juste pour ne pas perdre la face.
M. Blanquer peut en effet se gargariser de vivre sa meilleure rentrée : dans une véritable démocratie, il n’aurait pas dû la faire. Et APRÈS le 4 juillet, la question se pose : qu’en est-il de notre « démocratie » ? Comment une réforme purement politique et idéologique, pédagogiquement absurde, rejetée par la grande majorité de la profession, ayant pour seule fonction de détruire des postes de fonctionnaires, de détériorer encore un peu plus le service public d’éducation au profit du privé et dont on a le sentiment que, dans le détail, elle n’a été pensée que pour surcharger les personnels afin qu’ils ne puissent pas avoir l’énergie de protester, comment donc une telle réforme peut-elle s’appliquer presque tranquillement dans nos lycées ?
Parce que le prof est résilient ? La résilience, un mot très à la mode ces derniers temps. Un mot qui flatte plus l’orgueil humain que celui auquel il se substitue en réalité bien souvent : la résignation. M. Blanquer passe peut-être une bonne rentrée, parce qu’il croit en la résignation du monde enseignant et qu’il peut semble-t-il compter sur l’allégeance de la hiérarchie. De deux choses l’une : ou bien il a raison et d’ici quelques années il pourra se gargariser d’avoir été celui qui « a tué le mammouth » ; ou bien le mammouth se réveille. Les réseaux sociaux fonctionnent toujours et ont gagné en organisation, les réseaux des collègues « rétenteurs » sont toujours actifs, le « dialogue social » adulé par les syndicats « réformistes » a fait la preuve de son inanité et n’a plus le vent en poupe. Mais surtout, on sent que cet épisode a provoqué un choc de conscience. En se montrant « capables de tout », la hiérarchie et l’État se sont « démasqués » : les intérêts des élèves, des personnels, ou du service sont aisément sacrifiés au profit des ambitions personnelles et des intérêts politiques. Et dans l’Éducation nationale, le droit peut être bafoué sans vergogne. Ce n’est pas nouveau. Mais ce n’est plus possible de ne pas le voir. Mammouth réveille-toi, car tu es plus fort que tu ne le crois, ton braconnier plus faible qu’il ne le semble, et rien n’est jamais perdu !