ÉVALUATION

dimanche 18 décembre 2011
par  Sud éducation 66

Par Patrice Bégnana

Luc Chatel sait s’y prendre. En excellent toréador, il a proposé un chiffon rouge sur lequel un certain nombre de grosses bêtes se sont précipitées : l’évaluation par le seul chef d’établissement. Inutile de rappeler la chronologie : une fuite opportune dans la presse, une série de réactions et la proposition d’une action, une journée de grève deux jours avant les vacances de Noël.

Pendant ce temps, les motifs immédiats d’une grève reconductible sortent du “paysage syndical” : la masterisation qui exclut les couches sociales populaires de l’accès à notre métier tout en provoquant une absurde baisse des candidatures dans une période de montée continue de chômage ; la suppression l’an prochain de 14 000 nouveaux postes et le discours néolibéral qui fait de chaque fonctionnaire un parasite qui suce le sang des honnêtes français ; la multiplication des précaires en tout genre ; sans compter des programmes absurdes, des horaires saupoudrées, qui participent de l’exclusion de ceux qui sont en manque de capital culturel.

Le chef d’établissement nous évaluerait : la belle affaire ! Comme si ce n’était pas déjà le cas pour 40% de la note. Passe encore que d’aucuns en aient profité pour demander qu’il ne nous évalue plus. Même pas. Le système actuel qui chaque année accorde une promotion à certains sur la base du pourcentage est un chef d’œuvre de bêtise administrative. Est-on dans les 30% qui ont les meilleures notes, on passe au grand choix. Ainsi est-il possible de ne pas obtenir de “promotion” une année avec des notes meilleures de promus de l’année précédente ou suivante. Bref, comment défendre cette aberration ? Qu’est-ce qu’un mérite qui dépend d’un pourcentage ?

« Vérité au-deçà des 30%, erreur au-delà » nous répètent en chœur les prétendus pourfendeurs du ministre.

Et surtout comme si l’évaluation par l’inspecteur était une garantie de justice, d’équité, de charité. Comme d’habitude, la question fondamentale de savoir qui évalue la compétence des inspecteurs n’est pas posée. Ensuite, qu’est-ce qui prouve qu’en matière de pédagogie, le professeur, qui exerce, est moins compétent dans sa classe qu’un inspecteur qui n’exerce plus ? Qu’il y ait une grande diversité dans cette profession est une chose, la justification du système en est une autre. Car l’inspection, qui existe pour tous les fonctionnaires, dérive d’une conception et surtout d’une certaine pratique de l’État, disons impériale. Le chef, élu, plébiscité, donne des ordres indiscutables. L’inspecteur est là pour les répercuter. Bref, aucun contrôle démocratique dans un tel système, bien au contraire.

On nous dit qu’à la différence du proviseur, l’inspecteur connaît la discipline enseignée. Et alors ? Dès lors, n’importe quel universitaire ferait aussi bien l’affaire. Là encore il n’y a pas d’évidence. Que l’expérience montre au contraire que l’inspection n’est pas une garantie de justice, d’équité, de charité, que l’arbitraire y règne, que certains se spécialisent même dans la chasse aux mauvais syndicalistes, aux professeurs qui refusent d’obéir aux ordres et contre-ordres, tout cela pour assurer leur plan de carrière, devrait suffire à remettre en cause un système profondément inique. Dire que le nouveau le sera plus est une pure vue de l’esprit. Mais surtout, ce n’est pas la question.

Une seule solution, la suppression des différents rythmes qui ne correspondent à aucun mérite. La suppression de cet étrange système qui veut que le salaire soit fonction d’une sorte d’ancienneté, comme si l’idée de carrière était en elle-même l’expression d’une pure justice.

Quant aux chefs d’établissement et aux inspecteurs, étant donné leur grande compétence pédagogique unanimement reconnue par Chatel et les tenants de l’actuel système, il est clair que leur retour dans les classes, devant des élèves dont ils connaissent parfaitement les besoins, sera pour eux une grande joie et l’occasion de servir au mieux, ce service public d’éducation, qu’ils aiment tant.